Aux avant-postes de la diplomatie européenne
Possédant l’une des économies les plus dynamiques de l’UE, la Grèce est située au cœur des défis géopolitiques majeurs de l’Europe, que sont les processus d’intégration des Balkans et de la Turquie ainsi que la stabilisation du Proche-Orient. Ayant par le passé dirigé le cabinet du Ministre grec des Affaires étrangères, S.E.M. Dimitri Paraskevopoulos, Ambassadeur de Grèce en France, analyse ici les principaux enjeux de la diplomatie hellénique.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, près de deux ans après son élection, le Premier ministre Kostas Karamanlis a remanié son gouvernement pour donner un nouvel élan à son action. Au regard des accomplissements réalisés depuis juin 2004, quel est le sens de cette initiative et quelles priorités lui a-t-il assigné ?
S.E.M. Dimitri Paraskevopoulos : Le remaniement ministériel auquel a procédé le Premier ministre grec M. Kostas Karamanlis le 16 février 2006, s’est fait dans le but de poursuivre le travail engagé avec une détermination accrue et d’accélérer la mise en œuvre des réformes dont a besoin le pays, dans les domaines de l’économie, de l’éducation, de la santé et des entreprises publiques. Le gouvernement pose ainsi de solides bases pour le développement de l’économie et progresse avec fermeté dans l’application de son plan pour la refondation des services de l’Etat et la rationalisation de l’appareil bureaucratique, afin de renforcer l’efficacité de l’administration et de la rendre plus proche du citoyen.
L.L.D. : Avec une moyenne de plus de 4% de croissance depuis 1999, le dynamisme économique de la Grèce dépasse la moyenne européenne. Considérant les contraintes budgétaires du gouvernement grec, notamment dans la perspective de réduire les écarts de niveau de vie avec les autres membres de l’UE-15, quelles orientations sont privilégiées pour pérenniser l’expansion de l’économie grecque ? Quelles mesures ont-elles été adoptées en vue d’accroître sa compétitivité et de faciliter l’activité de l’entreprise ?
S.E.M.D.P. : Pour soutenir le taux de croissance élevé que génère notre économie, le gouvernement a procédé, après les Jeux Olympiques de 2004, à une diminution des charges fiscales des entreprises, qui sont ainsi passées de 35% à 30% en 2006 et devraient être de 25% en 2007. De surcroît, une nouvelle loi a été promulguée sur les investissements afin de renforcer les projets d’investissement et la convergence régionale, dont les résultats sont à présent significatifs. Notons que 1,23 milliard d’euros ont été investis dans le cadre de cette loi. Dans le même temps, les investissements privés ont augmenté de 3,8%. Des changements structurels permettant une plus grande mobilité des salariés et facilitant l’embauche, ont aussi été introduits dans le marché du travail. De plus, des mesures ont été prises pour réduire le poids de la bureaucratie et pour faciliter la création de nouvelles entreprises. Le taux de croissance a ainsi été de 3,7% du PNB (produit national brut) en 2005, un des plus élevés de l’Union européenne (UE). L’introduction du partenariat public-privé institué en 2005, va dans le même sens. Les profits des sociétés côtées en Bourse ont augmenté de 39% en 2005 et les exportations de 13,5%, tandis que 20% de la croissance du PNB résulte pour la première fois de la croissance des exportations. Durant cette même période, le taux de chômage est passé sous la barre des 10%. Malgré la hausse des cours du pétrole, l’inflation s’est maintenue à 3,5% du PNB en 2005. Le revenu réel des salariés a augmenté de 2,9% alors qu’il diminuait de 0,2 % dans la zone euro. Le revenu par tête qui était de 75,4% du revenu européen des Quinze en 2004 est ainsi passé à 77,1% en 2005 et devrait passer à 80% en 2007. Représentant 110% du PNB, la dette publique demeure néanmoins importante. Des nouvelles mesures fiscales seront prises en 2007 pour abaisser les taux d’imposition de personnes physiques et augmenter le seuil des revenus imposés. Enfin, une nouvelle loi, apportant plus de transparence, renforcera davantage le fonctionnement de la Bourse. Toutes ces mesures ont créé un climat propice à l’activité des entreprises en Grèce.
L.L.D. : Le Premier ministre Kostas Karamanlis a fait de l’éducation et de l’emploi deux thèmes-phare de son programme politique. Compte tenu du taux de chômage encore relativement élevé, notamment de la jeunesse et des femmes, quelle approche préconise-t-il pour favoriser l’insertion professionnelle ? Au-delà quelle est la vision grecque de la relance de la construction d’une « Europe sociale » ?
S.E.M.D.P. : Le gouvernement grec consacre, en effet, un effort particulier pour répondre au problème de l’emploi des jeunes et des femmes en particulier. Cet effort porte surtout sur le soutien à la création de nouvelles entreprises, avec des aides de financement public allant jusqu’à 50% pour les très petites et petites entreprises, et atteignant même 55% pour les entreprises installées dans les régions grecques autres que celles d’Athènes et de Thessalonique. La nouvelle loi sur les investissements œuvre dans le même sens. De plus, des programmes sont proposés pour la réorientation professionnelle et l’enseignement de nouvelles techniques aux jeunes au chômage. Je tiens à souligner à ce sujet que le Ministère de l’Enseignement étudie actuellement une réorganisation de l’enseignement technique. Nous croyons d’une manière générale, que le développement de l’activité économique contribuera à réduire le chômage de ces catégories de salariés. L’accroissement de la flexibilité des horaires de travail et d’ouverture des commerces constitue une autre mesure importante du gouvernement. Enfin, je pense que l’on peut se montrer optimiste aujourd’hui : le chômage devrait continuer à diminuer en 2006 grâce à la hausse des exportations et à l’excellent climat qui s’est installé pour l’entreprenariat. C’est également dans cette perspective que le secteur bancaire et celui des entreprises publiques ont été réorganisés.
Le système économique et social en Grèce est fondé sur l’entente et les accords de conventions salariales établis entre les partenaires sociaux. Les représentants des chefs d’entreprises et des salariés ont ainsi conclu en avril dernier, un accord pour la création d’une convention salariale portant sur une période de deux ans. Le gouvernement souhaite en effet que les salariés puissent profiter des gains réalisés par les sociétés au sein desquelles ils travaillent. En outre, un débat ouvert a été lancé sur le problème de la sécurité sociale et des retraites, afin que des solutions au déficit des caisses de retraite puissent être trouvées à l’horizon 2008 et des prochaines élections parlementaires. Evidemment, il ne s’agit pas ici d’appliquer en Grèce le modèle français sur les questions d’emploi et d’insertion professionnelle, chaque pays ayant ses propres caractéristiques. Notre pays n’en soutient pas moins la construction d’une « Europe sociale ».
L.L.D. : La lutte des inégalités passe également par la réduction des contrastes régionaux, Athènes restant le pôle démographique et économique du pays. Quelles sont les mesures engagées dans cette
optique ? Quelle place occupe la coopération décentralisée dans la politique de développement régional de la Grèce ?
S.E.M.D.P. : Pour répondre au problème des contrastes régionaux, qui sont, il est vrai, encore importants en Grèce, le gouvernement a mis en place une politique d’aide à l’investissement qui favorise le dévelop-pement de projets en dehors des grandes agglomérations. Des aides sont aussi allouées au développement des infrastructures et du tourisme, ainsi qu’à la création de pôles d’activités économiques. De surcroît, il est prévu de réduire à 7 le nombre de régions administratives (au lieu de 13 existantes aujourd’hui). Enfin, le gouvernement consacre à ces régions, 80% des aides européennes prévues dans le cadre du 4ème paquet des fonds européens.
L.L.D. : Ouverte sur le bassin Méditerranéen, la Grèce moderne a hérité d’une tradition d’émigration, mais aussi d’immigration. A la lumière de l’ampleur qu’a pris ce phénomène au cours de la dernière décennie, que représente pour votre pays l’enjeu du contrôle des flux d’immigration, tant en matière d’intégration sociale que de sécurité ? Quels dispositifs de coopération ont-ils été adoptés tant avec l’Union européenne, qu’avec les pays de la région ? A l’inverse, quels sont les atouts de l’importante diaspora grecque dans le monde pour votre pays ?
S.E.M.D.P. : La Grèce a connu de fortes vagues d’immigration depuis 1990. Ce phénomène témoigne de l’évolution politique et économique de notre pays, qui est passé du statut d’exportateur de main d’œuvre dans les années 1950-60 à celui d’importateur de ressources humaines. Les immigrés représentent actuellement presque 10% de la population. A trois reprises les autorités grecques ont procédé à une légalisation de la présence de ces immigrés, en leur accordant des autorisations de séjour, dont ont profité environ 700 000 personnes. La légalisation a permis à toutes ces personnes d’avoir un accès réglementé aux soins médicaux et au système scolaire hellénique. Bien que leur présence soit bénéfique pour l’économie grecque, celle-ci a aussi suscité, comme dans d’autres pays d’accueil, des problèmes d’adaptation et de phénomènes de criminalité auxquels le gouvernement a dû faire face. L’arrivée massive et illégale d’un grand nombre d’immigrants, surtout après l’effondrement de l’espace communiste au début des années 1990, est aujourd’hui maîtrisée, en particulier grâce à une meilleure surveillance des espaces maritimes et frontaliers, en accord avec les décisions prises par l’UE. Un vaste dispositif de surveillance a ainsi été mis en place, comprenant un corps de gardes-frontières, des gardes-côtes ainsi qu’un système de surveillance de l’espace maritime. Le gouvernement grec a d’autre part mis en œuvre une politique d’intégration des immigrés, notamment en matière sociale et d’éducation. Mais surtout nous soutenons l’application d’une politique de coopération entre l’UE et les pays d’origine des immigrés, en vue de trouver des réponses aux causes, principalement de nature économique, qui provoquent ces déplacements.
A l’inverse, la Grèce a été un pays d’émigration, pendant plusieurs siècles et ce depuis l’Antiquité. Aujourd’hui, il existe une importante diaspora grecque dans des pays comme les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, l’Allemagne ou la Russie. La présence de communautés grecques existe aussi dans plusieurs autres pays du monde. Cette diaspora constitue un facteur important pour le développement de nos relations avec ces pays, ainsi qu’une source d’enrichissement pour notre patrimoine culturel, scientifique, économique et politique. C’est pour cette raison que l’Etat Hellénique vient en aide aux Grecs à l’étranger afin de maintenir les liens avec cette diaspora, en proposant notamment des programmes d’apprentissage de la langue grecque, la création d’un Conseil représentatif de la Diaspora grecque ainsi que l’organisation de programmes et d’événements culturels. Aujourd’hui, les Grecs sont présents dans plus de 140 pays au monde.
L.L.D. : L’ouverture de négociations, le 3 octobre 2005, sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne a ouvert la perspective d’une normalisation des relations gréco-turques. Quelle approche votre pays préconise-t-il pour régler les contentieux bilatéraux sur l’espace égéen ? Près de deux ans après le rejet du Plan Annan par la communauté chypriote grecque, quelle est, de votre point de vue, la clé du règlement de la question de Chypre ?
S.E.M.D.P. : Je voudrais tout d’abord vous rappeler que la Grèce est favorable à la candidature de la Turquie à l’UE. Il va de soi qu’un tel appui est conditionné au respect de toutes les obligations et modalités qui découlent du processus d’adhésion. N’oublions pas à ce propos que, comme le mentionne les conclusions du Conseil européen, la Turquie sera jugée dans le courant de l’année sur son engagement à mettre en œuvre le protocole additionnel.
Sur le plan de nos relations bilatérales, la Grèce ne reconnaît comme seul contentieux avec la Turquie en Mer Egée, que celui de la délimitation du plateau continental. Cette question délicate doit être traitée dans le respect du droit international et des mécanismes qu’il nous offre. Enfin, beaucoup d’efforts ont été entrepris ces dernières années pour maintenir un climat de confiance qui a déjà permis d’améliorer nos relations économiques et politiques. Il faut néanmoins constater avec regret, que certaines pratiques de la Turquie visant à contester des droits reconnus, ne font que nourrir la tension militaire en Mer Egée ; l’exemple le plus récent étant la collision entre avions de chasse grecs et turcs, qui a causé la mort du pilote grec.
Pour répondre à votre deuxième question, rappelons que la question chypriote constitue un cas d’occupation militaire illégale par un Etat, la Turquie, de territoire d’un autre Etat qui est par ailleurs devenu membre de l’UE. L’adoption d’une solution mutuellement acceptable au problème de Chypre constitue une des grandes priorités du gouvernement hellénique. Cette solution doit reposer sur les résolutions et les décisions des Nations unies, ainsi que sur les efforts déployés par son Secrétaire général, tout en prenant en compte le nouvel acquis communautaire. Rappelons qu’en 2006, la Turquie s’est engagée auprès de l’UE à appliquer l’extension du Protocole de l’Union douanière aux dix pays qui en sont devenus membres lors du dernier élargissement. En pratique, cet engagement n’est toujours pas appliqué en ce qui concerne Chypre.
Après la rencontre à Paris le 28 février 2006, du Président de Chypre, M. Papadopoulos et de M. Kofi Annan, le Secrétaire général des Nations unies, une nouvelle impulsion a été donnée à la question chypriote en proposant la tenue de consultations techniques. Celles-ci devraient permettre qu’une relation de confiance s’instaure progressivement entre les deux communautés, afin qu’elles puissent chercher à trouver une solution à la question Chypriote qui soit durable et acceptable par les deux côtés, selon les résolutions des Nations unies.
L.L.D. : A l’aube du renforcement des liens entre les sociétés des deux pays et de leurs échanges économiques, de quels facteurs dépend, plus globalement, l’établissement d’une relation de confiance durable entre Athènes et Ankara ? Fort du soutien grec à la candidature turque, comment votre pays peut-il soutenir le processus de convergence engagé par la Turquie avec l’Union européenne ?
S.E.M.D.P. : Des avancés majeures ont été réalisées au cours de ces dernières années pour renforcer la collaboration entre les deux pays. Nous avons signé des accords bilatéraux concernant différentes questions comme les relations culturelles, la protection de l’environnement, l’économie, le tourisme, la lutte contre la criminalité, l’énergie, l’agriculture et la prévention contre les catastrophes naturelles. Cette amélioration, à laquelle ont largement contribué les contacts entre les représentants de l’ensemble du tissu social des deux pays, découle de la volonté de tous d’œuvrer à un objectif commun pour la mise en place de relations de bon voisinage. Elle est également le fruit du sentiment positif inspiré aux opinions publiques des deux pays, par l’aide mutuelle qu’ils se sont apportés lors des séismes meurtriers de 1999. A la faveur de cette conjoncture, un grand nombre de contacts ont eu lieu entre des représentants des collectivités locales, des journalistes, des chefs d’entreprise, des représentants d’organisations non gouvernementales, des scientifiques, des universitaires, des élèves, des étudiants, etc. Ces rencontres ont généré l’organisation de visites, de manifestations diverses, de jumelages… Elles ont plus généralement inauguré une coopération à grande échelle. Il est clair de ce point de vue que le rôle des citoyens a été décisif, car il a contribué à combler le manque de connaissance mutuelle. C’est dans un tel contexte que s’est progressivement développée l’initiative de rapprochement et de coopération des deux pays sur des questions d’intérêt mutuel, mais qui ne sont pas sensibles sur le plan politique. Il est évident que ce climat positif doit être maintenu et renforcé avec le respect des engagements pris par chaque partie, en particulier de s’abstenir de tout acte qui pourrait provoquer des tensions et rompre le dialogue entre les autorités compétentes des deux pays.
La Grèce soutient qu’il est nécessaire d’établir certaines mesures de confiance pour mieux faire face aux situations, favoriser l’apaisement de la tension et améliorer le climat général de nos relations. C’est dans cet état d’esprit que de nouvelles avancées ont été réalisées lors de la visite en Turquie de la Ministre des Affaires étrangères, Mme Dora Bakoyannis en juin dernier. La ministre a convenu, entre autres, avec son homologue turc de mettre en place une ligne de communication directe entre les Etats-majors de l’aviation militaire de Larissa, en Grèce et d’Eski Sehir, en Turquie. Cette ligne est opérationnelle depuis le 1er juillet dernier. Ils se sont également mis d’accord pour prolonger de deux à trois mois la période pendant laquelle les deux pays ne peuvent pas effectuer d’exercices militaires en Mer Egée. Cette période coïncide avec les mois d’été, qui sont des mois touristiques par excellence pour les deux pays.
La Grèce a par ailleurs renouvelé son soutien au processus de convergence engagé par la Turquie avec l’Union européenne, en partageant avec elle son expérience dans les institutions communautaires. Dans le cadre de la candidature de la Turquie à l’UE, un groupe spécial (« Task Force ») a ainsi été chargé de communiquer à la partie turque son savoir-faire en matière de questions européennes. Dans ce contexte, plusieurs séminaires et rencontres bilatérales ont été organisés, au cours desquels des hauts fonctionnaires de l’administration turque ont été informés par leurs homologues grecs sur le cadre réglementaire de l’UE dans différents domaines. Cette coopération couvre divers secteurs, tels que l’économie, les questions douanières, la justice, l’agriculture, l’environnement ou les programmes de l’UE.
L.L.D. : La Grèce a assuré jusqu’en mai 2006 la présidence annuelle du Processus de coopération en Europe du Sud-Est (SEECP) qu’elle a placé sous le thème du « voisinage en coopération ». Pouvez-vous dresser un état des lieux de la coopération interbalkanique, notamment en matière de dialogue politique ? Indépendamment de l’issue des négociations sur le statut définitif du Kosovo, quelles peuvent être, selon vous, les garanties de la stabilisation durable de la région ? Quelles sont à cet égard les priorités de la coopération entre Athènes et Belgrade d’une part et Skopje d’autre part ?
S.E.M.D.P. : Nous considérons que la présidence grecque (de mai 2005 à mai 2006) du SEECP a donné une nouvelle impulsion à ce processus. Nous avons fixé des objectifs pour renforcer les relations de bon voisinage et de coopération régionale, ainsi que la perspective européenne des pays d’Europe du Sud-Est. Un accord de libre-échange pour le commerce dans la région a ainsi été conclu, ainsi qu’un accord sur la création d’un réseau de chemin de fer à grande vitesse, pour améliorer le transport des personnes et des biens, ainsi que le commerce régional et transfrontalier. Nous avons, en effet, insisté sur le développement des infrastructures dans les secteurs de l’énergie et des transports, que nous considérons d’une importance fondamentale pour l’avenir de la région. La création, à Athènes, en octobre 2005, de la Communauté énergétique de l’Europe du Sud-Est, offre à cet égard de nouvelles possibilités de coopération en matière énergétique. Des décisions importantes ont également été prises, comme le stipule la déclaration du Sommet de Thessalonique, afin de consolider l’édification de sociétés ouvertes en Europe du Sud-Est, au sein desquelles domineront les principes démocratiques, le respect du droit des citoyens, ainsi que la lutte contre la corruption, le crime organisé, le terrorisme, la violence et l’extrémisme.
Tout ceci s’inscrit dans le cadre de l’objectif stratégique de l’UE et, bien entendu, de la Grèce concernant les Balkans. Notre but est la création des conditions qui permettront de garantir la stabilité, le fonctionnement des institutions, la coopération, le développement et la prospérité, mais aussi, le respect par ces pays des critères politiques qui leur permettront d’adhérer tous, sans exception, à l’UE.
Nous estimons dans cette optique que les conditions sine qua non pour la stabilité et la paix dans la région sont le respect et la pleine mise en œuvre des Accords et des Résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur les problèmes de la région.
La vision grecque du statut à venir du Kosovo s’appuie ainsi sur les principes d’une solution qui résulte de négociations substantielles et non de pressions ou d’un calendrier trop serré. Elle doit :
– respecter la légalité internationale, telle qu’elle est garantie par l’ONU et tenir compte des résolutions du Conseil de sécurité ;
– promouvoir la stabilité de la région, être compatible avec les principes et les valeurs de l’UE et s’inscrire dans le cadre de la perspective européenne de la région ;
– aspirer à la constitution d’un Kosovo multiethnique et multiculturel, un Kosovo où tous ses habitants auront leur place et jouiront des même droits ;
– mettre l’accent sur la mise en œuvre parallèlement des standards européens, au premier desquels figure la décentralisation, de manière à créer les conditions de sécurité nécessaires au retour des réfugiés non-albanais et de tous les déplacés, ainsi qu’à la protection du patrimoine culturel orthodoxe et à la réhabilitation des monuments détruits.
Nos relations bilatérales avec la Serbie et avec le Monténégro sont d’un excellent niveau. La Grèce soutient activement la perspective européenne de ces deux pays, ainsi que de tous les autres pays de la région, et ne manque pas de soutenir leurs efforts pour qu’ils intégrent les structures euro-atlantiques. La Serbie et le Monténégro ont participé avec la Grèce, sous la forme de la Communauté étatique de Serbie-et-Monténégro, à l’initiative de coopération sud-est européenne (SECI), à l’organisation de la coopération dans la région de la Mer Noire, ainsi qu’à plusieurs autres initiatives régionales. Nous avons par ailleurs développé une forte présence économique en Serbie. Sur le plan des échanges économiques et de la coopération, il convient de noter que la Grèce figure parmi les principaux partenaires commerciaux membres de l’UE de la Serbie et du Monténégro. Ces dernières années notre volume d’échanges a d’ailleurs connu une forte augmentation. Le total des investissements, directs ou indirects, réalisés par les entreprises grecques en Serbie et au Monténégro s’élèvent à 1,4 milliards d’euros environ, contribuant à la création de 24 000 emplois. Bien évidement, il faut que nous continuions à renforcer notre coopération dans tous les domaines, notamment dans ceux de l’aide au développement, des investissements et du commerce. Nous sommes convaincus que ces relations connaîtront une nouvelle dynamique parallèlement à leur processus de rapprochement avec l’UE, que la Grèce s’est constamment efforcée de soutenir durant toute la période de sa présidence de la SEECP.
Enfin, sur la question du nom de l’ARYM (Ancienne République yougoslave de Macédoine), rappellons que nous sommes favorable à une solution mutuellement acceptable. La Grèce reste en faveur de la procédure prévue par la résolution 817/93 de l’ONU et déclare être disposée à trouver une solution sur la question du nom, qui conduirait à la normalisation complète des relations bilatérales. Jusqu’ici, l’intransigeance de l’ARYM n’a toutefois pas permis de trouver une solution mutuellement acceptable.
L.L.D. : A travers le Plan pour la reconstruction économique de la région (PGREB), votre pays s’est plus particulièrement impliqué dans le processus de développement économique des Balkans. Quelles sont les priorités de cette initiative ? Quelles synergies économiques peuvent-elles être développées entre votre pays et la région ?
S.E.M.D.P. : Après les changements politiques provoqués par l’effondrement du bloc communiste, les entreprises et industriels grecs ont été parmi les premiers à investir dans les différents pays de la péninsule balkanique. Initiée en 2000, la mise en œuvre du programme grec de restructuration de l’économie des Balkans se poursuivra jusqu’à la fin 2006. Il représente un volume de 500 millions d’euros environ, concentré en priorité sur les travaux d’infrastructure, mais aussi sur des travaux plus modestes d’utilité publique. La construction de « l’axe 10 », qui reliera par la route Belgrade et Thessalonique, en constitue le projet prioritaire. En raison de son coût élevé, le gouvernement grec a sollicité la Banque européenne d’investissements (BEI) pour en assurer le financement. Le capital grec investi dans la région des Balkans dépasse aujourd’hui les 8 milliards d’euros et atteint même 10,7 milliards d’euros si l’on tient compte des récents investissements réalisés en Turquie. Au total, ce sont près de 3 500 entreprises grecques qui sont implantées dans les Balkans.
L.L.D. : Les relations greco-russes ont reçu une nouvelle impulsion dans le domaine énergétique avec le projet de gazoduc Burgas-Alexandroupolis, transportant le pétrole russe vers l’Europe à travers la Grèce. Au regard de votre expérience en qualité d’ancien Ambassadeur de Grèce en Russie, comment analysez-vous l’impact des évolutions géopolitiques du pourtour de la Mer Noire sur les orientations du partenariat stratégique forgé entre Bruxelles et Moscou ?
S.E.M.D.P. : Le projet de transport de pétrole par voie maritime, depuis le port russe de Noverosisk, dans la Mer Noire, au port bulgare de Burgas et, au-delà, vers le port grec d’Alexandropoulis par oléoduc, se trouve au stade de la finalisation des décisions. Il s’agit assurément d’un projet énergétique qui facilitera le flux du pétrole depuis la Russie et l’Asie centrale vers l’Occident, garantissant ainsi une livraison sans encombre des quantités de pétrole qui seront sollicitées.
En ce qui concerne les évolutions géopolitiques du pourtour de la Mer Noire, la position de la Grèce est qu’on doit persévérer dans la dynamique, déjà existante, de rapprochement entre la Russie et l’UE dans cette région, surtout après l’élargissement de l’Union avec les pays riverains de la Mer Noire, la Roumanie et la Bulgarie. La Grèce, comme ces deux pays, entretient des relations étroites avec la Russie et cet élément peut contribuer à l’avancement de la coopération entre la Russie et l’UE dans la région. Ceci est une opportunité évidente et nécessaire afin d’assurer, d’une part, la stabilité totale de la région et, d’autre part, une collaboration profitable pour toutes les parties, dans un espace extrêmement important du point de vue énergétique et géopolitique.
L.L.D. : Votre pays a fortement accru son engagement dans la région au travers de l’Initiative pour le Grand Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, mais aussi de sa participation à l’action de l’OTAN en Afghanistan et en faveur de la stabilisation de l’Irak. Tenant compte de l’enlisement du conflit irakien et de la remontée de la tension au Proche-Orient, comment votre pays peut-il contribuer à la stabilisation régionale ?
S.E.M.D.P. : La Grèce a assuré au cours du mois de septembre la présidence du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle a donc pu, à cette occasion, contribuer de près, avec les autres membres du Conseil de sécurité et la communauté internationale dans son ensemble, à la gestion de la crise libanaise. De plus, la Grèce a entretenu un dialogue constant et permanent avec toutes les parties impliquées dans la crise, mettant à profit les relations de confiance de longue date qui la lie avec les peuples de la région. En parallèle, nous participons activement aux initiatives de l’UE dans la région, en plus de notre contribution à la FINUL et de notre aide pendant les périodes de crise (évacuation des citoyens européens et autres du Liban).
La même chose est valable pour la contribution de la Grèce à la stabilisation des Balkans. Notre objectif est de préserver la stabilité en soutenant la perspective européenne des pays voisins et de renforcer la coopération bilatérale et régionale en particulier dans les domaines de l’énergie et des transports.
L.L.D. En visite en France en septembre 2005, le Premier ministre Kostas Karamanlis a adopté avec le Président Jacques Chirac une déclaration conjointe sur la politique de défense et de sécurité de l’Union européenne. Compte tenu des mesures prévues par cette déclaration, quelle envergure est appelée à acquérir la coopération militaire greco-française dans la construction d’une Europe de la défense ? Dans quels autres domaines la coopération bilatérale peut-elle être intensifiée ? Quelle nouvelle impulsion peut-elle être donnée aux échanges économiques entre les deux pays ?
S.E.M.D.P. : Je souhaiterais en premier lieu rappeler que les relations franco-grecques se caractérisent par une forte intensité dans tous les domaines. Depuis que j’ai pris mes fonctions en France, au mois d’août 2005, le Premier ministre Kostas Karamalis y a effectué deux visites. Le Ministre des Affaires étrangères est également venu à deux reprises à Paris tandis que le Ministre grec de la Défense, a rencontré son homologue française en juin dernier. La visite en Grèce, fin juillet, du Ministre français de l’Intérieur, M. Nicolas Sarkozy, illustre également la fréquence et l’étroitesse de ces contacts qui ne se limitent d’ailleurs pas à la seule sphère des relations entre les deux gouvernements. Les partis politiques des deux pays participent aussi à ces échanges fructueux, contribuant ainsi au dialogue politique au sens large, entre les deux pays.
Depuis 1974, et surtout depuis 1981, lorsque la Grèce a adhéré à la famille européenne, les relations entre nos deux pays, déjà étroites à l’époque, ont acquis une dynamique tout à fait nouvelle. Les peuples français et grecs se comprennent et sont par ailleurs très proches. Lors d’un récent voyage à Athènes, j’ai eu l’occasion de relire le discours prononcé par le Directeur de l’Institut français de Thessalonique lors de la visite du général Charles de Gaulle, rappelant la qualité intellectuelle des interactions existant entre les deux sociétés. Les liens entre les deux peuples dépassent ainsi le caractère conventionnel des relations franco-grecques. Ils remontent au XVIIIème et XIXème siècle, avant la guerre d’indépendance en Grèce, avec les importantes communautés philhellènes de France. Après la création de l’Etat grec moderne, la langue française s’est imposée comme la première langue étrangère et l’influence française s’est fait fortement ressentir dans la culture en Grèce, mais aussi dans toute la région méditerranéenne. La relation franco-grecque s’est ensuite renforcée au cours des deux grandes guerres qui ont marqué le XXème siècle, puis, durant la dictature qui s’est installée en Grèce. A cette époque, intellectuels, écrivains et penseurs ont trouvé refuge en France. Enfin, on peut témoigner du soutien qu’a apporté la France à notre adhésion à la Communauté européenne : j’étais membre de la délégation qui accompagnait, en 1979, le Président Konstantin Karamanlis lors de sa rencontre avec le Président Valéry Giscard d’Estaing, qui fut le parrain de ce soutien, au nom de la France.
L’adoption par les Premier ministres de nos deux pays d’une déclaration commune sur la politique de défense et de sécurité de l’UE illustre également que nos relations dans ce domaine dépassent le dialogue stratégique conventionnel. Nous partageons la même vision pour une politique européenne de sécurité et de défense, ainsi que pour la promotion de la coopération militaire européenne. Dans ce cadre, nous envisageons de participer dans des programmes et des projets de coopération de production d’armement (tels que la construction de frégates), initiés par la France et qui sont également réalisés dans la perspective de la mise en œuvre de l’Agence Européenne de Défense et de la coopération des pays membres de l’Union européenne dans le domaine militaire. A cet égard, nous participons déjà au
programme Helios.
Le dynamisme des relations greco-françaises s’illustre également sur le plan économique et commercial. Les chiffres de nos échanges sont bien la preuve.
Enfin, il est inutile de rappeler que la Grèce demeure fortement attachée à la francophonie. Deux ans seulement après être devenue membre associé de la Francophonie, la Grèce a demandé et obtenu, en septembre dernier, le statut de membre de plein droit de l’Organisation de la Francophonie. |