Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Editorial
 
  M. / Mr Pierre-André Wiltzer

La multiplication des conflits dans les pays pauvres :
comment relever le défi ?
 
Par M. Pierre-André Wiltzer, Ancien Ministre français délégué à la Coopération et à la francophonie, Haut-Représentant pour la Sécurité et la Prévention des Conflits
 
 
Depuis l’origine, l’histoire de l’humanité est hélas marquée par les conflits. Mais la nature de ceux-ci change avec les époques. Depuis la fin de la « guerre froide » entre l’Est et l’Ouest, un nouveau type de conflits s’est développé. Ils n’opposent pas nécessairement des Etats ; ils résultent souvent de l’exacerbation de tensions et d’oppositions internes dont les motifs politiques, économiques, ethniques et religieux s’entremêlent. Ils affectent souvent des pays pauvres. La misère, l’analphabétisme, les maladies endémiques, la corruption, le défaut de démocratie forment un terreau fertile pour l’apparition et la persistance de ces guerres intestines meurtrières.
Le lien entre instabilité et pauvreté a été mis en évidence par un rapport publié par la Banque mondiale en 2003 : l’analyse systématique des conflits recensés dans le monde depuis 1960 montre que 80 % de ceux-ci se sont produits dans les 20 % des pays les plus pauvres de la planète.
Le continent africain n’a certes pas le monopole des conflits, mais c’est lui qui est le plus atteint. Depuis la chute du « Mur de Berlin », quinze pays sur la cinquantaine que compte l’Afrique en ont été ou en sont atteints.
Cette situation a conduit la communauté internationale à s’impliquer de plus en plus dans le traitement de ces crises. D’abord pour des raisons humanitaires, mais aussi pour empêcher l’embrasement de vastes régions de l’Afrique, la ruine de tous les efforts de dévelop-pement et l’installation de foyers de violence dangereux pour la stabilité du monde.
Mais cette implication a connu des échecs, certains tragiques comme au Rwanda en 1994.
Cela conduit à rechercher des moyens plus efficaces de prévenir les crises à temps, de stopper plus rapidement les conflits qui éclatent malgré tout et enfin d’aider les pays à en sortir durablement, une fois les combats arrêtés et les accords de paix signés.
Identifier des solutions et présenter des propositions pour améliorer les mécanismes de prévention et de traitement des conflits, aussi bien sur le plan national que sur le plan international, telle est la mission qui m’a été confiée par le Gouvernement français, il y a quelques mois.
Améliorer la prévention
Il y a des signes annonciateurs de conflits : multiplication des atteintes aux droits de l’Homme, développement de l’insécurité, dégradation du fonctionnement des institutions publiques, appauvrissement accéléré de certaines régions, apparition de rebellions localisées. Les rapports des représentations diplomatiques dans les pays concernés en rendent compte. Les institutions internationales, notamment l’ONU et ses agences, mais aussi certaines organisations non-gouvernementales reçoivent des informations.
Toutefois, il n’existe pas encore de véritable système international d’alerte précoce qui permettrait d’enclencher sans attendre des initiatives pour éviter l’engrenage de la violence. Des démarches diplomatiques, des médiations, des pressions voire des sanctions ciblées de la communauté internationale pourraient pourtant se révéler efficaces à condition d’intervenir vite et de façon coordonnée. Il convient, pour cela, d’identifier les principaux indicateurs de « risques de crise », de les rassembler et de les analyser, puis d’en saisir les instances internationales qui ont la responsabilité politique de la décision, en particulier le Conseil de Sécurité des Nations unies.
Ce sujet est actuellement discuté, dans le cadre de la réforme des Nations unies, autour de la création envisagée d’une Commission de consolidation de la Paix, organe permanent placé auprès du Conseil de Sécurité et doté de moyens spécifiques et d’un fonds permettant de financer son fonctionnement. La France participe activement, avec ses partenaires de l’Union européenne, à l’élaboration de propositions en la matière.
Sur le plan national également des progrès peuvent être accomplis dans la mise en commun et l’exploitation des informations collectées sur les risques de crise dans les pays avec lesquels la France entretient des relations étroites. Le Ministère des Affaires étrangères, avec son réseau diplomatique et avec ses différentes directions, celui de la Défense, grâce à ses sources de renseignement, mais aussi les relais que constituent nos opérateurs associatifs et économiques à l’étranger peuvent y contribuer. Il convient d’améliorer la synergie entre ces divers pôles et de mettre en place une cellule interministérielle chargée d’exploiter les données recueillies à l’intention du Gouvernement et de déclencher l’alerte lorsque le risque se précise.
Maîtriser plus vite et mieux les conflits naissants
Quand la prévention n’a pas pu se faire ou qu’elle a échoué, il s’agit d’agir rapidement pour stopper les violences. Or l’expérience montre que les réactions de la communauté internationale sont souvent lentes. La lourdeur des procédures, la multiplicité des institutions et des pays concernés, voire la difficulté de dégager un consensus politique au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU, les délais nécessaires pour réunir les moyens d’intervention, en particulier les contingents de « casques bleus », expliquent cette situation. Là aussi des progrès doivent être accomplis.
S’agissant de l’Afrique, qui compte actuellement le plus grand nombre de conflits, un fait nouveau est apparu : succédant à l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) qui était surtout une enceinte politique inter-étatique, l’Union africaine (UA), créée en 2002, s’est affirmée comme un acteur essentiel en matière de maintien ou de rétablissement de la paix.
Elle bénéficie d’une légitimité politique incontestée et elle veut assumer pleinement ses responsabilités dans le domaine de la sécurité et de la stabilité du continent africain. L’un des membres de la Commission de l’UA, homologue de la Commission européenne, est spécialisé dans cette mission. D’ores et déjà, l’UA s’est montrée active et efficace dans les initiatives politiques et diplomatiques destinées à résoudre des crises, que ce soit par exemple en République Démocratique du Congo, en Côte d’Ivoire ou au Togo. Mais elle veut aller plus loin en mettant en œuvre des capacités militaires de maintien de la paix.
Un Etat-Major est en voie de constitution au siège de l’Organisation à Addis-Abeba. L’Union africaine a d’ores et déjà entrepris d’agir dans des pays affectés par des conflits par l’envoi de contingents militaires, comme actuellement au Darfour. La constitution de la « Force Africaine en Attente », reposant sur des Brigades implantées dans quatre régions du continent et formées aux opérations de maintien de la paix est en cours.
Ainsi, une nouvelle architecture de paix et de sécurité est en train de se construire sur le continent africain : elle s’appuie sur les organisations sous-régionales existantes au sud du Sahara : la CEDEAO en Afrique de l’Ouest, la CEEAC en Afrique centrale, la SADC en Afrique australe, l’IGAD en Afrique de l’Est.
Ces organisations, qui étaient déjà des partenaires actifs dans la résolution des conflits survenant parmi leurs pays membres, deviennent le cadre dans lequel les Brigades régionales de la « Force Africaine en Attente » se constituent.
Il est donc essentiel que les pays développés et les institutions internationales apportent à l’UA et aux organisations sous-régionales africaines les moyens techniques et financiers leur permettant de mener à bien cette entreprise ambitieuse. Les Africains sont les mieux placés pour résoudre les crises sur leur continent. Il nous revient de les y aider fortement et rapidement.
Pour sa part, l’Union européenne, qui consacrait jusque-là tous ses efforts à l’aide au développement a décidé de s’impliquer dans le maintien de la stabilité et le rétablissement de la paix en Afrique. L’opération « Artémis » en Ituri, dans l’Est de la République Démocratique du Congo, a marqué un tournant décisif : pour la première fois, des contingents européens, sous commandement français, sont intervenus, dans le cadre d’un mandat de l’ONU, pour rétablir la sécurité dans une zone affectée par des violences meurtrières.
Toutes ces évolutions traduisent l’implication croissante de la communauté internationale dans la lutte contre les conflits armés en Afrique. Cela rend nécessaire une étroite collaboration entre les différentes organisations multilatérales concernées afin que l’on sache clairement qui fait quoi et que les interventions gagnent en rapidité et en efficacité.
Grâce à sa présence en Afrique, par des forces pré-positionnées dans quatre implantations stratégiques (Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Corne de l’Afrique, océan Indien), la France est l’un des principaux acteurs de cette démarche. Elle apporte une contribution importante aux efforts des Africains en matière de maintien de la paix, en particulier au travers de son dispositif « RECAMP » (pour REnforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix) qui a pour but de former et d’équiper les cadres militaires et les contingents africains chargés d’assurer cette mission.
Le caractère multilatéral, désormais, des actions de maintien de la paix, nous conduit à faire évoluer le concept « RECAMP » dans le sens d’un double partenariat : avec l’Union européenne d’une part, avec l’Union africaine d’autre part. Des propositions ont été présentées à cet égard à ces deux organisations pour définir en commun les modalités nouvelles de mise en œuvre de « RECAMP ». Dans cet esprit, le lancement d’un nouveau cycle de ce concept et des dispositifs qui en découlent est prévu au siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba, le 20 juin 2005.
Rétablir durablement la stabilité des pays sortant de crise
Arrêter les combats, conduire les adversaires à signer des accords de paix et à s’engager dans une phase de transition conduisant à des élections ne suffit pas. Nous en avons la preuve avec des pays comme le Libéria et la Sierra Leone en Afrique de l’Ouest et à Haïti dans les Caraïbes, qui ont rechuté après que ce processus ait été conduit par la communauté internationale une première fois. Rien de solide ni de durable ne peut être acquis si l’on ne résout pas le problème de la réinsertion des combattants et de la reconstruction de la société et des institutions dans des pays qui ont été dévastés par les guerres civiles.
A cet égard, les mécanismes du « Désarmement – Démobilisation – Réinsertion » (DDR) qui servent de référence aux interventions internationales, nécessitent une révision. Le volet « Réinsertion », en particulier, se révèle la plupart du temps défaillant. Dans des pays en proie à tous les maux de la pauvreté, dont les infrastructures ont été détruites, dont la société a été profondément traumatisée par la guerre civile et où l’Etat est en ruine, la présence de dizaines de milliers d’ex-miliciens livrés à eux-mêmes est un facteur redoutable d’instabilité et d’insécurité. La multiplication du nombre des  « enfants-soldats », garçons et filles, ajoute une difficulté supplémentaire en raison des traumatismes dramatiques que cette fraction de la jeunesse a subis du fait de ces conflits. La réinsertion de tous les combattants est donc une condition essentielle de la résolution durable des conflits.
Or la doctrine internationale actuelle repose sur l’idée que c’est aux pays sortant de crise eux-mêmes qu’il revient de mener à bien cette tâche extrêmement difficile.
Même si la communauté internationale dégage des financements pour cela, force est de constater que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Les nouvelles institutions nationales chargées d’assurer la transition se révèlent généralement incapables de mettre en œuvre la réinsertion, à supposer que les acteurs de cette transition, qui s’étaient durement affrontés précédemment, en aient la volonté réelle. Il faut donc réfléchir à la façon, pour la communauté internationale, d’être plus présente, au côté des autorités du pays concerné, dans le cadre de la mise en œuvre des processus de réinsertion et de reconstruction.
C’est un sujet sur lequel la Mission que je dirige travaille activement en vue de formuler des propositions qui pourraient être soumises à la discussion des instances internationales.
Au total, c’est l’ensemble du système de la prévention, du traitement à chaud et de la résolution durable des conflits qui mérite d’être revu et renforcé si l’on veut lutter efficacement contre la multiplication et la persistance des foyers d’insécurité et de violence dans les pays pauvres. Une prise de conscience salutaire s’est produite sur le plan international et c’est encourageant. Mais il reste beaucoup à faire.
En toute hypothèque un constat s’impose : l’instabilité est largement conditionnée par le sous-développement, qui entraîne la mauvaise gouvernance et les révoltes. Plus que jamais il est donc indispensable que les pays riches mobilisent d’urgence des ressources supplémentaires pour assurer le développement des pays du sud.
La paix dans de vastes régions du monde est à ce prix et l’objectif est à notre portée pour peu que nous en ayons la volonté.  
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