Une diplomatie au service de la paix et de l’environnement
Réélu à la présidence du Costa Rica vingt ans après son premier mandat, le Prix Nobel de la Paix Oscar Arias remet cette république centraméricaine sur le devant de la scène internationale. Protection de l’environnement, consolidation de la paix et développement sont les maîtres-mots d’une diplomatie active que nous explique ici M. Bruno Stagno, Ministre des Relations extérieures et du Culte du Costa Rica.
La Lettre Diplomatique : Monsieur le Ministre, vous avez la particularité d’être né à Paris et d’avoir fait une partie de vos études supérieures en France. Comment décririez-vous les liens qui vous unissent aujourd’hui à la France ? Au regard de la coopération active qu’entretiennent les deux pays, quel élan souhaiteriez-vous impulser aux relations franco-costariciennes, notamment dans les domaines culturels, touristiques et du dialogue politique ?
M. Bruno Stagno :
Je suis effectivement né à Paris, j'y ai fait une partie de mes études supérieures, et c'est également là que j'ai débuté ma carrière dans le service diplomatique de mon pays, au Consulat du Costa Rica. De plus, je suis marié à une française. J’éprouve donc un attachement sentimental assez fort avec la France et un profond respect à l’égard de ce pays.
Je souhaite bien entendu que la présence de la France au Costa Rica soit plus importante, à la fois en tant que partenaire et investisseur, dans la perspective d’approfondir nos échanges culturels et commerciaux, ainsi que d’accroître la participation des entreprises françaises aux différents chantiers de travaux publics et d'infrastructures qui sont lancés dans notre pays.
En matière de dialogue politique, nous voulons tout d’abord saisir l'opportunité que représente la prochaine présidence française de l’Union européenne pour dynamiser et faciliter les négociations déjà initiées entre l’Amérique centrale et nos partenaires européens en vue de la conclusion d’un Accord d’association dès le premier semestre 2009.
En outre, je souhaite pouvoir intensifier notre travail avec la France dans le cadre des négociations portant sur le changement climatique et le développement durable.
L.L.D. : La réélection du Président Oscar Arias le 5 février 2006, près de vingt ans après son premier mandat, a été marquée par la question du traité de libre-échange entre les Etats-Unis et les pays d’Amérique centrale incluant la République dominicaine (CAFTA-DR). Comment analysez-vous la prolongation du débat qu’il suscite depuis son approbation par referendum le 7 octobre 2007 ?
M.B.S :
Le Costa Rica a entériné son adhésion au traité de libre-échange entre l'Amérique centrale et les Etats-Unis avec le referendum qui s’est tenu en octobre 2007. Dans le cadre du processus démocratique que garantit le système politique costaricien, « l’agenda de mise en œuvre » de ce traité peut faire l’objet de discussions, avant et après le referendum, au sein de notre Assemblée législative. Le débat sur certaines réformes (concernant notamment le secteur des télécommunications et des assurances) s’est ainsi prolongé au-delà du temps qui nous était imparti. Le Costa Rica a donc récemment obtenu une prorogation de sept mois à compter du 1er mars 2008 pour poursuivre le débat et parvenir à l’approbation des 12 projets nécessaires à l’entrée en vigueur du traité de libre-échange, dont 8 ont déjà été approuvés en première lecture.
L.L.D. : Le Costa Rica a été le dernier pays centraméricain à approuver le CAFTA-DR. Quel calendrier est-il prévu pour son application effective ? Comment définiriez-vous la portée de cet accord, notamment en terme de création d’emplois ? A l’inverse, comment comprenez-vous les critiques qu’il soulève notamment sur ses effets présumés négatifs pour les secteurs de l’agriculture, de la pêche et du textile ?
M.B.S :
Comme je vous l’ai expliqué précédemment, le CAFTA-DR entrera en vigueur une fois que les réformes exigées par les députés seront adoptées. Parallèlement à ce processus, le nombre d’entreprises étrangères et nationales au Costa Rica s’est particulièrement accru au cours de ces dernières années. Or, l’entrée en vigueur de ce traité devrait, sans doute, accentuer cette tendance en favorisant des liens productifs, des alliances et des projets d’affaires entre entreprises centraméricaines elles-mêmes, mais aussi entre celles-ci et des entreprises américaines.
Le développement de ces échanges intra-régionaux aura pour effet de favoriser la création d’emplois, la compétitivité au niveau global et, de fait, la réduction du chômage. Le processus d’ouverture que notre pays a adopté, nous permet d’afficher aujourd’hui un taux de chômage de 4,8%, soit le plus faible taux d’Amérique latine et des Caraïbes selon l’Organisation internationale du travail (OIT). Aussi, ces résultats devraient être confortés par l’accès privilégié des produits costariciens aux Etats-Unis, en suscitant de vastes échanges commerciaux et flux d’investissement.
En ce qui concerne plus particulièrement le secteur textile, le Costa Rica a spécialisé sa production et a conquis diverses niches qui lui ont permis d’être compétitif tant sur le marché américain qu’à l’échelle internationale. Le secteur textile costaricien s’est d’ailleurs adapté depuis déjà plusieurs années aux circonstances intérieures comme extérieures : d’une part, à la transition de notre pays vers une économie fondée non sur une main d’œuvre intensive, mais sur une main d’œuvre qualifiée visant à produire des biens et des services d’une plus grande valeur ajoutée ; et, d’autre part, à la concurrence provenant d’économies émergentes comme la Chine et l’Inde. Il s’ensuit qu’aujourd'hui nous possédons un secteur textile prêt à assumer les défis mais aussi les opportunités que lui offrent un marché comme celui des Etats-Unis.
Pour ce qui est de l’agriculture et de la pêche, les Etats-Unis représentent l’un de nos principaux marchés d’exportation, c’est pourquoi ces deux secteurs d’activité profiteront de cette nouvelle étape de notre processus d’ouverture. Il faut également souligner qu’à partir de l’entrée en vigueur du traité de libre-échange, nos producteurs pourront compter sur une plus grande prévisibilité quant à l’avenir de leurs débouchés, puisque jusqu’à présent le marché américain était accessible sur le principe d’un traitement préférentiel à caractère unilatéral, tandis que les accords entre les deux Etats supposent désormais des droits et des obligations des deux parties.
L.L.D. : L’accroissement des échanges avec les Etats-Unis, premier partenaire commercial de votre pays, s’inscrit dans un objectif plus large de renforcement de la compétitivité nationale. Quels secteurs publics sont-ils appelés à s’ouvrir dans cette perspective ? Quelles opportunités les grands projets d’infrastructures lancés par votre gouvernement peuvent-elles offrir en particulier aux entreprises françaises ?
M.B.S :
Le Costa Rica s’est affirmé comme une plate-forme régionale d’investissement. Près de 70% de ces investissements proviennent des Etats-Unis. Ils se concentrent dans les secteurs industriels et financiers, ainsi que dans ceux de l’immobilier et du tourisme, actuellement en plein boom dans les régions du Guanacaste et de Puntarenas.
L’accord CAFTA-DR ouvre aussi de ce point de vue de nouvelles opportunités d’investissement, en particulier dans les secteurs des télécommunications et des assurances qui étaient jusqu'à présent des monopoles d’Etat. Notre gouvernement a en outre lancé un ambitieux programme de construction d’infrastructures portuaires, routières, aériennes et ferroviaires de premier plan qui peut intéresser les entreprises françaises, ainsi que des projets d’infrastructures touristiques et dans les industries connexes.
Je tiens également à souligner que la majeure partie du commerce entre l’Union européenne et l’Amérique centrale provient du Costa Rica (qui représente 60% des échanges). La France occupe le 10ème rang des destinations des exportations costariciennes vers l’Union européenne. Mais nos exportations vers le marché français disposent d’un grand potentiel de développement qui pourrait être accru en identifiant de nouveaux produits pour les secteurs des services, médical et électronique, le secteur de la pièce détachée automobile, ceux de l’entretien et de la réparation des avions et des bateaux de transport, ainsi que pour les centres de formation relatifs à l’ensemble de ces secteurs.
L.L.D. : La croissance soutenue que connaît le Costa Rica depuis dix ans avec une moyenne de 6% repose sur une forte attraction des investisseurs étrangers. De quels nouveaux atouts dispose le marché costaricien sur ce plan ? Quelles sont vos priorités pour améliorer l’environnement des affaires de votre pays ?
M.B.S :
Notre pays est devenu l’une des économies les plus performantes de l’Amérique centrale, avec un PIB par habitant de 5 627 dollars en 2007, un niveau d’extrême pauvreté limitée à 5%, une espérance de vie atteignant 79 ans et un système de protection sociale qui couvre près de 80% de la population. Ce modèle économique et social attire d’ailleurs de nombreux travailleurs immigrés, dont beaucoup en provenance du Nicaragua.
Ces résultats sont à attribuer dans une large mesure, à sa stabilité en termes économique et politique, ainsi qu’à ses infrastructures orientées vers l’exportation et à une main d’œuvre très qualifiée et innovatrice. Selon l’indice élaboré par l’Institut d’investigations économiques de l’Université de Munich (IFO) et la Fondation Getulio Vargas (FGV) au Brésil, le Costa Rica fait ainsi partie des trois pays d’Amérique latine doté du meilleur climat économique pour les entreprises.
Les exportations costariciennes se sont en outre fortement diversifiées, principalement dans les hautes technologies, les services et l’agroalimentaire. Le gouvernement favorise également une politique d’ouverture économique. Dans ce sens, le Costa Rica a conclu des accords de libre-échange avec l’Amérique centrale, le Chili, le Mexique, le Panamá, la République Dominicaine, le Canada, la CARICOM (Communauté du bassin des Caraïbes), et maintenant les Etats-Unis (en attente de l’approbation législative). Il envisage d’ailleurs de nouveaux accords de ce type, notamment avec la Chine et d’autres partenaires asiatiques.
Le Costa Rica poursuit désormais ses efforts visant à simplifier et informatiser une grande partie des procédures administratives qui ralentissent les créations d’entreprises et les échanges. Ce processus commence d’ores et déjà à montrer des résultats concrets sur le plan des exportations et des flux d’investissements que nous attirons.
Enfin, notre pays continue à élargir l’attribution des principaux programmes d’aide à la production et à l’exportation qui sont déjà en vigueur, comme les zones franches, et qu’il s’efforce aussi d’améliorer. Toutes ces mesures reflètent la volonté du gouvernement costaricien de rendre le pays de plus en plus attractif à l’investissement et à l’exportation.
L.L.D. : En visite officielle aux Etats-Unis le 6 décembre 2006, le Président Oscar Arias a fait valoir le concept de « Consensus de Costa Rica » pour demander l’annulation de la dette costaricienne. Pouvez-vous nous expliquer ce concept ? Comment ce dossier a-t-il évolué depuis cette visite ?
M.B.S :
Le « Consensus de Costa Rica » a été lancé par le Président Oscar Arias dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations unies qui s’est tenue à New York, le 20 septembre 2006. Ce projet propose de lier la coopération et la solidarité internationale avec les efforts mis en œuvre par les pays en matière de renforcement de la paix, l’investissement social, le développement durable et la réduction des budgets militaires. C’est une initiative qui cherche à réformer les schémas actuels de coopération internationale, afin que les pays qui investissent de façon éthique, c’est-à-dire en répondant aux besoins sociaux les plus urgents, puissent bénéficier de la coopération et de l’aide publique au développement, de prêts avec des taux d’intérêt subventionnés, ainsi que de l’annulation ou de l’échange de leur dette extérieure.
Dans le monde, les dépenses militaires moyennes s'élèvent à 3,4% du produit intérieur brut, c'est-à-dire, un total de 1 100 billions de dollars annuels, avec d’importantes variations de région à région et de pays à pays. Ces dépenses militaires excessives peuvent et doivent être destinées à de meilleures utilisations, notamment à prendre en charge les besoins sociaux les plus pressants et, plus largement, s’inscrire dans la perspective morale que propose le Consensus de Costa Rica, à savoir de s’orienter vers un effort pour réduire la pauvreté et atteindre les Objectifs de Développement du Millénaire.
Le Consensus plaide en faveur de la mise en place par les pays riches de mécanismes destinés à faire en sorte que les pays en voie de développement qui investissent de plus en plus dans la santé, l’éducation, le logement et de moins en moins dans les armes et les soldats, soient exemptés de dette et qu’ils soient financièrement soutenus.
L’initiative proposée par le Président Oscar Arias a soulevé un vif soutien lorsqu’elle a été promue au sein de divers forums dont le Sommet ibéro-américain de Chefs d'Etat de novembre 2006 ; le Dialogue de haut niveau entre le Conseil économique et social (ECOSOC) et les institutions financières internationales qui s’est déroulé à New York, le 16 avril 2007 ; les organisations financières internationales (tels que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement) et les organisations multilatérales, comme les Nations unies, l’Organisation des Etats d’Amérique (OEA), la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL), le Secrétariat du Sommet ibéro-américain, et bien d’autres, qui ont montré un intérêt renouvelé à l’égard de cette initiative.
Concrètement, on peut citer au nombre des principaux résultats qu’elle a suscitée, la prise de position du Secrétaire général des Nations unies (voir le document E/2007/10 du 19 mars 2007) qui l’a identifiée comme un « mécanisme de financement innovant ». La déclaration finale du Sommet ibéro-américain des Chefs d’Etat qui s’est tenu en novembre 2006, a également intégré un paragraphe exprimant un accueil bienveillant au « Consensus de Costa Rica ».
Dans le cadre des relations bilatérales que nous entretenons avec les Etats-Unis, nous avons obtenu sur la base du « Consensus de Costa Rica » et de l’autre initiative innovante du Président Arias de « Paix avec la Nature », que nos partenaires américains annulent une partie de la dette (soit 26 075 942 dollars) avec, en contrepartie, notre engagement à réaliser des investissements dans le domaine de l’environnement et, en particulier, dans la protection des forêts vierges.
L.L.D.: Le sommet de San José du Système d’intégration centraméricain (SICA) a permis en décembre 2006 de mettre en œuvre le mécanisme de négociation en vue d’un accord d’association avec l’Union européenne (UE). Comment les discussions évoluent-elles depuis leur lancement le 29 juin 2007 ? Quel rôle peut jouer la France de ce point de vue à l’approche de sa présidence de l’Union européenne ?
M.B.S :
Je souhaite tout d’abord souligner que le Costa Rica a cherché tout au long de son histoire à entretenir de solides relations avec ses voisins d’Amérique centrale. Il s’est étroitement impliqué dans les questions régionales, par exemple, en tant que membre fondateur du Marché commun centraméricain.
Lors du Sommet de San José de décembre 2006, les pays d’Amérique centrale ont effectivement décidé de mettre en place un mécanisme de négociations, qui s’est avéré très efficace lors des deux premiers cycles de négociations avec l’Union européenne. Ce mécanisme prévoit la désignation d’un « pays porte-parole » assuré à tour de rôle par chaque Etat tous les deux cycles, suivant l’ordre alphabétique. Le Costa Rica a ainsi été le premier Etat à assumer ce rôle dans le cadre des négociations actuellement en cours.
L’Accord d’association entre l’Amérique centrale et l’Union européenne inclut trois volets : le dialogue politique, la coopération et le commerce. Le premier cycle de négociations a démarré formellement la semaine du 22 octobre 2007 à San José. Le deuxième cycle s’est, quant à lui, tenu à Bruxelles entre le 25 et le 29 février 2008. Les discussions évoluent favorablement et nous espérons obtenir un accord dans des délais assez raisonnables. Dans le cadre de ces négociations, le Costa Rica recherche un meilleur accès aux marchés européens ainsi que l’engagement de l’Union européenne à soutenir notre région dans la mise en œuvre du futur Accord d’association.
Compte tenu des liens historiques, politiques, économiques et culturels qui unissent nos deux régions, l’Europe est consciente de l’importance que représente cet accord pour nous. Dans les années 1980, l’Europe a joué un rôle crucial pour favoriser le retour de la paix dans la région. Aujourd’hui, nous attendons des Etats membres de l’UE, et en particulier de la future présidence française, un soutien sans faille et un accompagnement étroit dans le processus des négociations menées actuellement avec la Commission européenne, de sorte que l’on puisse annoncer leur finalisation, comme nous le souhaitons tous, au premier semestre 2009. Une participation active de la France en ce sens nous semble absolument indispensable pour atteindre cet objectif.
L.L.D. : Le programme d’aide à la région adopté par l’UE pour la période 2007-2013 a été porté à 840 millions d’euros. Compte tenu des orientations de ce programme, quelles sont vos attentes à l’égard du futur accord d’association, tant sur le plan économique que sur le plan politique et de la coopération ?
M.B.S :
Le programme de coopération pour la région adopté par l’UE pour la période 2007-2013, répond à des critères nationaux et régionaux. Il sera mis en œuvre dans des secteurs prioritaires, définis en accord avec chaque pays, ainsi qu’avec le Secrétariat général du SICA. Tel qu’il a été énoncé par la Commission européenne à Bruxelles lors du deuxième cycle des négociations de l’Accord d’association, le programme – dont aucune modification est envisageable – est déterminé pour aborder trois domaines d’action : le renforcement du système institutionnel en vue de l’intégration de l’Amérique centrale, l’approfondissement de l’intégration économique régionale et la consolidation de la sécurité régionale.
Toutefois, l’Amérique centrale cherche à faire en sorte que notre coopération avec l’Europe serve également à renforcer les liens politiques et économiques entre les deux régions et à accompagner le processus préparatoire en vue de la mise en œuvre du futur Accord d’association.
Sur le montant total destiné à la région, le Costa Rica recevra ainsi 34 millions d’euros pour la période 2007-2013. Le pays envisage la mise en place de projets qui visent dans un premier temps à :
– renforcer les capacités des petites et moyennes entreprises pour leur intégration dans le marché international, centraméricain et européen ;
– améliorer la capacité du secteur productif à travers l’amélioration des normes en matière phytosanitaire et d’autres mesures sanitaires pour l’exportation vers le marché européen ;
– soutenir le secteur productif et exportateur pour surmonter les obstacles techniques au commerce, ce qui représente un grand défi en terme d’accès au marché européen.
Notre pays est convaincu qu’une coopération plus efficace et moderne est nécessaire pour atteindre les niveaux de développement auxquels il aspire, et ce, principalement, par le biais de l’éducation, de la recherche, de la formation, des sciences et des technologies. Il cherche ainsi à ouvrir des espaces innovants de coopération avec l’Union européenne et à engager des dialogues et des initiatives conjointes dans les domaines des sciences et technologies, du changement climatique, de l’environnement et du renforcement institutionnel.
Une amélioration des opportunités commerciales avec l’Europe ouvrira à notre région des grandes opportunités pour atteindre le développement durable et une meilleure qualité de vie de ses populations.
L.L.D. : Avec l’accord d’association UE-Amérique centrale, Bruxelles aspire à jouer un rôle de catalyseur de l’intégration entre les six pays de la région. Comment percevez-vous cette ambition ?
M.B.S :
Pour comprendre le contexte des négociations actuelles entre les deux régions, il est indispensable de faire la distinction entre deux processus différents.
D’une part, le processus d’intégration régionale de l’Amérique centrale dispose d’une dynamique qui lui est propre et qui découle de la volonté politique des pays de la région. Ce processus doit être distingué du processus de négociations qui vise à une mise en œuvre réussie de l’Accord d’association entre l’Union européenne et l’Amérique centrale. Chacun de ces processus possède sa propre logique et répond à des exigences politiques et techniques différentes.
L’Amérique centrale continuera donc, d’un côté, à définir et décider de son schéma d’intégration et elle poursuivra, d’un autre côté, son engagement pour que l’Accord d’association avec l’UE réponde pleinement aux attentes des deux régions.
L.L.D. : L’établissement de relations diplomatiques avec la Chine représente une autre initiative majeure du Président Oscar Arias qui a effectué sa première visite à Pékin le 20 octobre 2007. Considérant son objectif d’augmenter les exportations costariciennes vers la Chine de 18% par an, quelles synergies économiques peuvent-elles être plus précisément impulsées entre les deux pays ?
M.B.S :
Tout d’abord, laissez-moi souligner que nos relations avec la Chine sont fondées sur le respect mutuel et se concentrent sur nos intérêts communs, tout en reconnaissant les différences entre nos deux pays. Après les Etats-Unis, la Chine représente le partenaire le plus important pour le Costa Rica, en termes d’échanges économiques et de marchandises.
Dans cet esprit de respect mutuel, nous avons initié des échanges intenses, marqués par des visites d’entrepreneurs qui consolident davantage le socle de notre coopération. La visite du Président Arias en octobre 2007 a ainsi débouché sur la signature de plusieurs accords-clés, notamment d’un Cadre commercial et économique, mais aussi dans les domaines politique, culturel, éducatif, de recherche techno-scientifique et dans d’autres encore.
En raison de son immense territoire, de son poids démographique, de son niveau d’industrialisation et d’urbanisation, la Chine recèle un formidable potentiel en tant que marché. Dans ce contexte, le Costa Rica dispose avec ses 3 500 produits d’exportation, d’atouts non négligeables, notamment dans les secteurs tels que l’agroalimentaire, le tourisme, les hautes technologies, l’informatique, l’investissement immobilier et la protection de l’environnement. Notre pays peut également offrir une porte d’entrée privilégiée aux produits chinois dans la région.
L.L.D. : Fort de ses relations étroites avec le Japon et la Corée du Sud, le Costa Rica souhaite intégrer le Forum Asie-Pacifique (APEC). Quels avantages l’appartenance à cet ensemble peut-elle lui apporter ?
M.B.S :
La construction de liens entre le Costa Rica et les pays émergents qui développent leur influence, joue un rôle primordial pour soutenir notre dynamisme et notre croissance économique.
Le bassin du Pacifique représente à cet égard l’une des régions les plus importantes du commerce international. Cette région progresse également vers la consolidation d’un processus d’intégration régionale intercontinental. Les pays qui forment cet ensemble comptent aujourd’hui un total de 2 800 millions d’habitants et leurs économies produisent 56% de la richesse de la planète et 46% du commerce global.
L’APEC est un forum important pour le Costa Rica car il pourrait nous permettre de créer et de renforcer nos relations avec les pays de l’Asie-Pacifique. L’appartenance à l’APEC contribuerait ainsi à créer un cadre adéquat et flexible à travers lequel on pourrait non seulement échanger des informations mais aussi adopter des positions conjointes sur des questions d’importance mondiale comme l’équité des échanges commerciaux ou les problèmes liés à l’environnement et au développement durable.
L.L.D. : Votre pays a été élu membre non-permanent au Conseil de Sécurité des Nations unies pour la période 2008-2009. Quelle position entendez-vous y faire valoir, notamment en matière de droits de l’homme et de désarmement ? Comment comptez-vous faire progresser les propositions du groupe des « Cinq petits Etats » en faveur de la réforme des Nations unies, en particulier pour limiter le droit de veto au sein du Conseil de sécurité ?
M.B.S :
Depuis son entrée au Conseil de Sécurité, notre pays a proposé de développer un agenda conforme aux valeurs de sa politique extérieure comme la paix, le désarmement, les droits de l’homme, la prévalence du droit international et le droit international humanitaire, ainsi que la réforme des méthodes de travail du Conseil.
De notre point de vue, nous devons non seulement exiger la mise en œuvre des compromis internationaux déjà adoptés en matière de désarmement et de non-prolifération, dont la non-application est considérée comme une menace ; mais nous devons aussi faire en sorte qu’ils soient appliqués à ces nations qui possèdent déjà ce type d’armes et ne devraient pas développer de nouvelles technologies nucléaires.
Nous plaidons de ce fait pour le respect et la mise en œuvre des obligations qui émanent du Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) et du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TPCE).
La communauté internationale, et en particulier le Conseil de Sécurité, doivent affronter sans délai la question de la non-prolifération des armes nucléaires et éviter les doubles positions dans l’application de la réglementation qu’exige le désarmement.
Le Costa Rica assume précisément depuis janvier 2008 la Présidence du Comité 1540 du Conseil de Sécurité, qui est un organe auxiliaire mis en place afin d’assurer l’application de la résolution 1540 du 28 avril 2004. Cette résolution adoptée sous le Chapitre VII de la Charte des Nations unies, impose une série d’obligations astreignantes pour tous les Etats membres, comme, entre autres, le devoir de s’abstenir d’apporter un quelconque type de soutien aux agents non-étatiques qui essayeraient de développer, acquérir, fabriquer, posséder, transporter, transférer ou employer des armes nucléaires, chimiques ou biologiques et leurs systèmes de vecteur.
Depuis que nous avons intégré le Conseil de Sécurité, nous avons soutenu et promu la protection des droits de l’homme dans les zones de conflit. Nous avons aussi plaidé pour une plus grande collaboration et une coordination entre le Conseil et d'autres organismes comme la Cour pénale internationale (CPI). Le Costa Rica a montré sa préoccupation à l’égard de la légitimité des gouvernements, des valeurs de gouvernance, ainsi que de la situation des populations déplacées et des réfugiés provoquée par des conflits.
Comme vous l’avez évoqué, la Suisse, Singapour, la Principauté du Liechtenstein, la Jordanie et le Costa Rica plaident pour limiter le droit de veto des cinq membres permanents. Mais il convient aussi de préciser que la proposition envisage que le Conseil de Sécurité soit plus transparent et rende compte des décisions qu’il adopte. L’objectif n’est pas de limiter le pouvoir du Conseil de Sécurité, mais d’augmenter la collaboration entre le Conseil et l’ensemble de ses membres. Nous pensons en effet que nous continuerons à avancer, précisément par le dialogue et le travail proactif que nous mettons en œuvre pour arriver à des consensus sur ces idées.
L.L.D. : Vous avez assumé entre 2005 et 2008 les fonctions de Président de l’Assemblée des Etats parties, organe législatif et administratif de la Cour pénale internationale (CPI). Comment cette institution multilatérale a-t-elle évolué depuis sa création, notamment à la lumière de la position de certains pays réticents à coopérer avec elle ?
M.B.S :
La CPI compte à ce jour 105 Etats parties. Elle a commencé à instruire ses premiers cas et elle est sans aucun doute devenue la référence en matière de lutte contre l’impunité. Tous les organes de la Cour fonctionnent conformément au Statut de Rome et les pays qui s’opposaient à la CPI ont désormais adopté une position plus flexible au regard de sa crédibilité, de sa légitimité et des progrès qu’elle a d’ores et déjà enregistrés. Même le Conseil de Sécurité des Nations unies a établi des liens avec la CPI, en lui confiant la poursuite des responsables pour crimes contre l’humanité au Darfour.
L.L.D. : Doté d’une riche biodiversité, le Costa Rica a déclaré « la paix à la nature ». Quelle est votre vision du vaste débat international qui s’est engagé sur l’environnement et le réchauffement climatique ? Quelles orientations votre pays préconise-t-il en la matière ? Quels enseignements peut-on tirer de l’expérience costaricienne dans le domaine de la protection de la nature et de sa valorisation ?
M.B.S :
Le Costa Rica occupe seulement 0,03% de la superficie terrestre, mais il concentre à lui seul près de 6% de la biodiversité mondiale. Le changement climatique constitue un phénomène grave, représentant une menace considérable pour l’intégrité biologique du Costa Rica et de tous les autres pays du monde. C’est ainsi que notre pays a eu le souci de préserver sa biodiversité (un quart du territoire est protégé). Le Costa Rica est en même temps devenu un pays pionnier en matière de tourisme écologique, ancré dans la protection de son environnement, ainsi que dans la protection et la conservation de la grande zone de nidification pour les tortues de mer. Dans ce contexte, le Costa Rica préside actuellement le Conseil du PNUE (Programme des Nations unies pour l’Environnement) et a rejoint le Groupe des amis de l’ONUE (Organisation des Nations unies pour l’Environnement).
La proposition de « Paix avec la nature » comprend à la fois des engagements sur le plan de la situation intérieure du pays (au premier rang desquels l’ambition d’être la première économie où toutes les émissions de CO2 seront compensées au niveau national) et d’autres sur le plan de la situation globale dans le monde qui consacrent l’interdépendance « de toutes les Nations avec la nature. » Cette vision des enjeux environnementaux implique donc la nécessité d’une responsabilité partagée mais différenciée, car chaque nation a sa propre approche, mais toutes doivent coopérer.
Le Costa Rica exercera dès lors son leadership dans ce domaine afin de promouvoir des engagements volontaristes des nations, qui s’ajouteront à ceux souscrits dans le cadre de coopérations intergouvernementales et au sein de forums multilatéraux. En effet, ces engagements internationaux, comme par exemple la Convention Marco des Nations unies sur le changement climatique et le protocole de Kyoto, restent dans certains cas clairement insuffisants.
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