Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Russie
 
  S.E.M. / H.E. Alexander Avdeev

La Russie à la croisée des chemins

Réélu le 14 mars 2004, le Président Vladimir Poutine a fait de son second mandat celui de l’affirmation de la Russie comme une puissance économique et un partenaire incontournable dans le concert des nations. Ancien Premier Vice-Ministre des Affaires étrangères avant sa nomination en qualité d’Ambassadeur de la Fédération de Russie en France en mars 2002, S.E.M. Alexander Avdeev, nous explique ici les enjeux et les grands axes de ce projet.

La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, réélu avec 72% des voix lors des élections présidentielles du 14 mars 2004, le Président Vladimir Poutine a fait de l’accélération de l’essor économique de la Russie, le fer de lance de son second mandat. A l’aune de l’œuvre accomplie depuis 1999, quels sont, selon vous, les grands défis que doit relever le nouveau gouvernement russe dans les années à venir ?

S.E.M. Alexander Avdeev :
Dans son message à l'Assemblée fédérale, le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a clairement défini les objectifs que doit poursuivre notre pays. Il s'agit de doubler le potentiel économique en dix ans, de faire régresser la pauvreté et progresser la prospérité. De ce fait, le gouvernement a pour priorités d'assurer une croissance économique rapide, de consolider les positions économiques de la Russie dans le monde et, en conséquence, d'élever le niveau de vie. La réalisation de ces tâches passera notamment par l'encouragement de la production industrielle, des aides aux PME, la simplification de la fiscalité et la création des infrastructures nécessaires.
Sur le plan macro-économique, il s'agit de ramener progressivement l'inflation à 3% par an. Les transformations seront également impulsées dans les secteurs de la santé et de l'éducation, dans les systèmes financier et bancaire, ainsi que dans la politique du logement. Il en sera de même pour la réforme fiscale et celle des retraites. Enfin, les forces armées russes seront modernisées.

L.L.D. : Soutenue par les cours élevés des hydrocar-bures et par le dynamisme de la consommation intérieure, la croissance économique russe a connu un nouveau rebond en 2003. Engagé dans un vaste programme de réformes structurelles, quel calendrier le gouvernement russe s’est-il fixé pour mettre en œuvre la réforme de l’administration et la rationalisation des systèmes fiscal et financier ? Quelles mesures compte-t-il privilégier pour renforcer le rôle de l’industrie locale et des petites et moyennes entreprises (PME) dans la croissance russe ?

S.E.M.A.A. :
Le développement de l'économie russe est très dynamique depuis ces dernières années, avec une progression de la croissance de 7,3% en 2003 et de 7,4% pour les huit premiers mois de 2004. Si la Russie maintient cette dynamique, elle prendra la deuxième place, derrière la Chine, en termes de rythme de croissance, devançant ainsi les Etats-Unis, le Japon et les pays de l'Union européenne. Tandis que notre pays a atteint une stabilité macro-économique, l'inflation a ralentie, les recettes budgétaires ont augmententé et la monnaie nationale a gagné en stabilité. La Banque centrale de Russie a notablement accru ses réserves d'or et de devises, qui sont aujourd'hui de l'ordre de 90 milliards de dollars. Fort de ces résultats, nous nous attachons particulièrement à réduire l'endettement extérieur du pays en versant en temps et en heure, et même avant terme, les sommes dues au titre des obligations financières internationales.
Nous avons, en outre, pris des mesures pour réduire la dépendance, réellement forte, de notre économie à l’égard de la conjoncture des prix mondiaux sur les hydrocarbures et d’autres matières premières. Le secteur de la production de hautes technologies se développe ainsi à un rythme accéléré. De plus, un fonds de stabilisation visant à amortir les fluctuations éventuelles des prix sur les matières premières, a été créé et devrait excéder les 500 milliards de roubles (environ 16 milliards de dollars) vers la fin de l’année 2005.
La réforme fiscale est également appelée à jouer un rôle important dans l'essor économique de la Russie. Nous avons d’ores et déjà abaissé l’impôt sur le revenu des personnes physiques à son taux le plus bas – 13% -, introduit un impôt social unique régressif, alors que l'impôt sur les bénéfices a été diminué et celui sur les ventes supprimé. Ces mesures ont permis d’améliorer la perception des impôts, de réduire l’ampleur de la fraude et de relâcher la pression de la fiscalité sur l'économie.
Il s’agit néanmoins d’une réforme dont les effets se feront sentir à long terme. De nouvelles étapes seront franchies dans les prochaines années pour simplifier encore plus le système fiscal dans le but de le rendre plus équitable et d’améliorer l'administration fiscale. Il est, notamment, prévu de diminuer la TVA et d'en modifier le système de perception, ainsi que d'abaisser l'impôt social unique. Au total, au terme de la réforme, le système fiscal ne sera plus un poids pour le monde des affaires : il sera équitable pour tous les acteurs économiques et contribuera à stimuler la compétitivité de l'économie nationale. Le gouvernement projette aussi des changements substantiels dans les secteurs bancaire et financier.
Vous avez raison de mentionner la profonde réforme qui touche l'administration. Elle vise à créer un système clair et transparent des organes du pouvoir politique, dont les compétences seront nettement délimitées, et à accroître par conséquent la responsabilité des ministres et des autres dirigeants à l’égard du résultat de leur travail.
Les récentes propositions du Président Vladimir Poutine visent ainsi à assurer la participation conjointe de la Fédération et de ses entités à la formation du pouvoir exécutif régional. Tenant compte de la menace croissante du terrorisme, une attention particulière est également consacrée à une meilleure coordination des activités des structures en charge du maintien de l’ordre, à leur financement et à leur équipement matériel.
En ce qui concerne le développement de la petite entreprise, la politique que mène notre gouvernement, a pour objectifs principaux de réduire l'ingérence de l'administration, de simplifier l'accès aux ressources financières et d'améliorer l'imposition de ces entreprises. Le gouvernement russe propose, par exemple, de perfectionner le système des subventions de l'Etat à la petite entreprise et d'aider à leur création dans le secteur des hautes technologies.

L.L.D. : Attirant encore un niveau insuffisant d’investissements étrangers, quelles dispositions sont-elles prévues pour accroître l’ouverture économique de votre pays et améliorer son cadre des affaires ? A la lumière du récent accord conclu avec l’Union européenne (UE), quels progrès restent-ils à accomplir pour l’accession de la Russie à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) ?

S.E.M.A.A. :
L'afflux des investissements étrangers dans l'économie russe s'est accéléré durant ces dernières années. Si les investissements étrangers directs s’élevaient à 4 milliards de dollars en 2002, ils atteignaient déjà 6,8 milliards en 2003. Selon les prévisions, ils devraient se chiffrer à quelque 8 milliards en 2004 (l'augmentation, au premier semestre, était déjà de 35% par rapport à la même période de l'année précédente). Le volume des investissements cumulés de capitaux étrangers est lui aussi en expansion. J'espère que cette tendance se maintiendra dans les années à venir. Ces indices ne peuvent évidemment pas encore nous satisfaire, mais le plus important demeure l’existence de cette tendance manifeste à la croissance.
La Russie présente toute une série d’atouts pour attirer les investisseurs étrangers : un potentiel économique considérable, un vaste marché intérieur, une main-d'œuvre qualifiée, un niveau technologique élevé dans toute une variété de secteurs industriels de pointe. Ces facteurs, couplés au maintien de la stabilité politique et économique et à l'amélioration du cadre juridique, sont appelés à favoriser une progression continue des investissements dans l'économie russe.
Les ententes conclues entre la Russie et l'Union européenne sur le dossier de l'OMC revêtent par ailleurs une grande importance. La Russie cherche, en effet, à devenir un acteur à part entière du système des relations économiques internationales, ce qui inclut aussi son adhésion à l'OMC à des conditions équitables. Nous sommes ainsi intéressés par un aboutissement rapide des négociations et nous avons l'intention, pour notre part, de les intensifier. Ce faisant nous continuerons, naturellement, à mettre en avant nos intérêts nationaux.

L.L.D. : Rejetant les critiques d’autoritarisme, le Président Vladimir Poutine a consacré le rôle prépondérant de l’Etat dans le processus de développement économique lors de son discours devant le Parlement russe le 26 mai 2004. A la lumière des réactions négatives provoquées par l’« affaire Ioukos », pouvez-vous nous expliquer les relations qu’entretient le pouvoir politique avec la sphère économique en Russie ?

S.E.M.A.A. :
Les dirigeants russes ont affirmé à maintes reprises que « l'affaire Youkos », comme on l’appelle, ne conduirait pas à réviser la stratégie économique, ni même le bilan des privatisations en Russie. Il n'existe aucun projet de ce type. Mais les autorités ont l'intention de continuer à réprimer, sans aucune concession, les délits dans le secteur financier, la fraude fiscale, la corruption.

L.L.D. : Faisant face à d’importants défis sociaux, quels axes les autorités russes ont-elles défini pour accroître l’efficacité de la lutte contre la pauvreté et du traitement des problèmes relatifs à l’affaiblissement démographique russe ?

S.E.M.A.A. :
Comme je l'ai déjà indiqué, l'une des priorités que se sont fixés les dirigeants russes est de réunir les conditions propices à la croissance des revenus et au recul de la pauvreté, ce à quoi contribue, pour une large part, l'essor de l'économie russe. En ce sens, les efforts déployés par le gouvernement visent à poursuivre l’accroissement de l’offre d’emploi, à développer les PME, à rendre efficaces les mesures ciblées d'aide sociale. On peut citer, à titre d'exemple, la proposition gouvernementale de substituer, au système impersonnel des avantages accordés à diverses catégories de la population, un système de prestations financières équivalentes, versées concrètement aux ayant-droits.
L'élévation du niveau de vie des travailleurs de la sphère sociale subventionnée – enseignants, médecins, scientifiques – fait aussi l'objet d'une attention particulière. Les pensions de retraite continuent ainsi d'être revalorisées. La réforme en cours du système de santé et du système éducatif, ainsi que la création d'un marché du logement accessible, doivent contribuer à atténuer le problème de la pauvreté et, par conséquent, à redresser les tendances démographiques négatives.

L.L.D. : Cinq ans après le début de la guerre en Tchétchénie, la Russie demeure confrontée à une situation instable et à la recrudescence des attentats terroristes. A l’aune de l’assassinat du Président tchétchène Akhmad Kadyrov et de l’attentat de Beslan, comment analysez-vous la persistance de l’instabilité dans cette région ? Dans quelles conditions votre pays envisagerait-il d’entamer des négociations avec les indépendantistes tchétchènes ?

S.E.M.A.A. :
Le problème de la Tchétchénie demeure toujours aussi sensible pour la Russie, au regard de ses implications pour le sort et les souffrances des hommes et de nos concitoyens. Nombre d'entre eux sont la cible des terroristes, non seulement en Tchétchénie, mais aussi dans d'autres régions de la Russie.
La nécessité d'un règlement politique est évidente depuis le début. Lors du référendum organisé en 2003, une majorité écrasante s'est prononcée pour que la Tchétchénie demeure au sein de la Fédération de Russie. C'est bien le peuple tchétchène qui, faisant le choix de la paix et de l'ordre, a adopté, en 2003, la nouvelle Constitution de la République, qui a élu son président et qui a entrepris de récréer les organes républicains du pouvoir exécutif et législatif.
Ces changements ne sont malheureusement pas du goût de certaines forces qui veulent transformer à tout prix la Tchétchénie, comme l'ensemble du Nord-Caucase, en un foyer permanent de tension, en une base stratégique du terrorisme international. Nous avons déjà pu observer un scénario semblable se dérouler en Afghanistan.
Les négociations que vous évoquez, ont été engagées il y a longtemps déjà, avec les représentants du peuple tchétchène. Nul n'ignore que le président légitimement élu de la Tchétchénie, Akhmat Kadyrov, tombé sous les coups des terroristes, s'était battu durant un certain temps aux côtés des séparatistes. Pourquoi, quand ils parlent de négociations, nombreux sont ceux qui, en Occident, se limitent à considérer « des négociations avec Aslan Maskhadov », oubliant obstinément le bilan de son gouvernement et son rôle dans l'organisation et la réalisation des attentats ?
Je me permettrais de rappeler l’effondrement économique, la destruction totale du secteur social, les exécutions publiques, les rapts, notamment d'étrangers avec demande de rançon, l'organisation d'attentats en Russie et, enfin, l'agression armée contre le Daghestan voisin, en vue de le rattacher de force à la Tchétchénie. Aslan Maskhadov, que certains continuent de considérer comme le président légitime de la République, a été officiellement écarté du pouvoir par son propre parlement, accusé de violation de la Constitution et de trahison d'Etat. Pas plus tard que l’été dernier, alors que la Tchétchénie se préparait aux élections, Aslan Maskhadov a menacé de mort, par média interposé, le successeur d'Akhmat Kadyrov, quel qu'il soit. Cela ne vous fait-il pas penser à « l'opposition démocratique » des Talibans aux élections en Afghanistan ?
La tragédie qui s'est déroulée à Beslan au mois de septembre 2004 a montré une fois encore que les criminels, forts du soutien financier des réseaux terroristes internationaux, sont prêts à parvenir à leurs fins à n'importe quel prix, sans rien vouloir prendre en compte, pas même la vie des enfants. Ils cherchent à semer la haine ethnique entre les peuples du Caucase et à y déclencher une guerre fratricide. Les patriotes ne se cachent pas derrière des mercenaires, et les émeutiers ne font pas la guerre à des enfants.
Le terrorisme international est devenu aujourd'hui un problème mondial. Il ne connaît ni frontières, ni nationalité, renie les valeurs universelles, tout particulièrement le droit à la vie et à la liberté. Septembre 2001 à New York et septembre 2004 à Beslan, les attentats incessants en Irak et en Afghanistan forment les maillons d'une même chaîne. C'est tous ensemble seulement que nous pourrons vaincre ce mal. Il est inadmissible de faire des concessions aux terroristes car ils les considèreraient comme une manifestation de faiblesse, un encouragement à poursuivre la guerre et, par conséquent, à mettre en danger de nouvelles vies innocentes.

L.L.D. : Après une période de retrait durant les années 90, Moscou multiplie les initiatives pour renforcer ses relations avec les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale et du Caucase. Considérant la faible augmentation des échanges économiques entre les Etats de la Communauté économique eurasiatique, comment envisagez-vous le renforcement de cette organisation et, plus généralement, la mise en place d’un véritable processus
d’intégration régionale ?

S.E.M.A.A. :
La coopération en matière d'intégration au sein de la Communauté économique eurasiatique (CEEA), qui regroupe la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan, constitue l'une des priorités de la politique extérieure russe. Le travail suivi qui est réalisé dans le cadre de cette organisation vise à créer une véritable union douanière et à jeter les bases d'un espace économique unique. Le 18 juin 2004, le Conseil inter-étatique de la CEEA s'est réuni à Astana ; les chefs des Etats de la Communauté ont examiné la situation présente et les perspectives de travail à venir, compte tenu, notamment, des nouvelles possibilités économiques et des tâches à accomplir.
Il existe en effet, aujourd'hui, toute une série de facteurs nouveaux.
Premièrement, la croissance notable du prestige international de la CEEA est une évidence. La Communauté a obtenu le statut d'observateur à l'Assemblée générale de l'ONU, de nombreuses organisations influentes, internationales et régionales, manifestent déjà un intérêt concret à établir des relations avec elle.
Deuxièmement, tous les pays membres de la CEEA connaissent aujourd'hui un essor économique. Leurs économies nationales affichent une croissance stable. Les activités d'investissement et les échanges commerciaux montrent une dynamique positive. Les indicateurs du développement social évoluent, eux aussi, positivement.
Troisièmement, l'un des socles de l'accélération du développement repose sur une utilisation efficace des ressources et des capacités d'intégration. Il est important de ne pas prendre de retard, de prendre en compte les tendances intégrationnistes globales et d'avancer de façon constante.
L'an dernier, les pays membres de la Communauté ont adopté un document de base, « Les options prioritaires du développement de la CEEA pour la période 2003-2006 et les années suivantes », qui est une sorte de schéma général de la construction de l'intégration régionale à court et à moyen terme. Ce qui est, à présent, à l'ordre du jour, c'est un accord de coopération sur le marché des valeurs et un traité sur le statut des bases de la législation de la CEEA.
Ce document revêt une importance particulière. C'est la première fois, en effet, que l'on réunit les conditions indispensables à la formation, dans le cadre de la Communauté, d'une législation supranationale d'action directe.

L.L.D. : Située aux premiers rangs des pays exportateurs d’hydrocarbures, la Russie aspire à accroître ses capacités dans ce secteur et à diversifier ses débouchés. Quelle stratégie est-elle envisagée pour valoriser et optimiser ce secteur stratégique ? Dans cette perspective, la Chine et les Etats-Unis sont-ils amenés à devenir des partenaires énergétiques majeurs de votre pays ? La mise en place du pipeline Bakou-Tbilissi-Cehyan n’ouvre-t-elle pas une brèche dans le maintien à long terme de la Russie comme pays de transit des hydrocarbures de la Caspienne et de l’Asie centrale ? Comment évaluez-vous l’impact de la multiplication des attentats terroristes contre le secteur pétrolier en Arabie saoudite et en Irak, tant sur le marché international que sur la position de votre pays au sein de celui-ci ?

S.E.M.A.A. :
Les projets de diversification des livraisons de produits énergétiques russes sont bien connus. Il s'agit, notamment, d'accroître la capacité du système d’oléoducs de la Baltique, de mettre en service les oléoducs reliant la Sibérie occidentale à la mer de Barents, de déterminer les itinéraires de transport des hydrocarbures extraits en Sibérie orientale.
Il est ainsi prévu de construire un gazoduc nord-européen, qui permettra de diversifier les flux d'exportation, en reliant directement la Russie et les pays riverains de la Baltique au réseau gazier européen.
En ce qui concerne la Chine et les Etats-Unis, on peut supposer qu'ils joueront un rôle grandissant en tant que partenaires énergétiques de la Russie.
Par ailleurs, nous ne sommes pas enclins à voir dans l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan un concurrent des oléoducs russes. Ceux-ci sont suffisamment chargés à l'heure actuelle et il est peu probable que cette situation varie de façon substantielle dans un avenir proche.
Quant aux attentats terroristes en Arabie saoudite et en Irak, notre position est bien connue. Nous condamnons résolument toute forme et toute manifestation de terrorisme. Dans le cas présent, les attaques terroristes nuisent non seulement à ces pays, mais renforcent aussi la nervosité et l'imprévisibilité des marchés pétroliers mondiaux.

L.L.D. : Le soutien apporté par le Président Vladimir Poutine à son homologue américain au lendemain du 11 septembre 2001 a inauguré une nouvelle ère dans les relations américano-russes. Dans quels domaines la coopération dans la lutte anti-terroriste entre les deux pays a-t-elle déjà obtenu des résultats ?

S.E.M.A.A. :
La Russie a appris à ses dépens ce qu'était le terrorisme international bien avant les événements du 11 septembre 2001, et elle a appelé avec insistance la communauté internationale à resserrer les rangs face à cette menace. Bien des choses ont déjà été faites dans cette voie, tant au niveau bilatéral que multilatéral, dans le cadre de l'ONU et du G8 ainsi que dans le cadre de notre collaboration avec l'OTAN. Mais, et cela est devenu particulièrement évident avec la tragédie sans précédent de la prise d'otages de Beslan, trois ans après le 11 septembre, renforcer la vaste coopération sur l'axe antiterroriste demeure un objectif d'actualité.
La coopération en matière de lutte antiterroriste est une composante importante de nos relations avec les Etats-Unis. Selon la déclaration des présidents de la Russie et des Etats-Unis dans ce domaine, nous ne sommes pas de simples partenaires, nous sommes des alliés. En 2000 déjà, sur décision de nos deux présidents, un groupe de travail bilatéral avait été constitué, à l'initiative de la Russie, pour contrer la menace terroriste émanant de l'Afghanistan. Au mois de mai 2002, le mandat du groupe a été étendu, ses travaux ont été portés à un nouveau niveau de discussion et de définition des missions de la coalition antiterroriste internationale. Nos administrations compétentes mènent un dialogue franc et professionnel sur l'ensemble des domaines que couvre notre collaboration dans ce domaine, y compris sur la lutte contre le financement du terrorisme et la prévention de nouvelles tentatives d’attentats, mais aussi sur l'accès des terroristes aux armes de destruction massive. Il existe également des échanges de points de vue substantiels pour ce qui est de l'évaluation de la menace terroriste dans certaines régions. Concernant l'Afghanistan, par exemple, des questions capitales telles que la lutte contre la production et le trafic de stupéfiants afghans sont examinées dans le cadre de ce groupe.
Le travail du groupe russo-américain a été structuré en totale conformité avec la Charte de l'ONU et le droit international, y compris la coopération dans le cadre du Comité antiterroriste du Conseil de sécurité de l'ONU, ainsi que la coordination entre le Comité antiterroriste, d'une part, les organisations internationales, régionales et sous-régionales de l'autre. Le groupe russo-français fonctionne, d'ailleurs, selon le même modèle.
La politique de « deux poids deux mesures » à l’égard des terroristes, doit maintenant faire partie du passé. Dans ces conditions, la confrontation collective contre le terrorisme permettra de parvenir à des résultats tangibles dans l'éradication de ce mal du XXIème siècle.

L.L.D. : Quels effets ont eu la crise irakienne et la formation d’un « axe Paris-Berlin-Moscou » en février 2003 sur cette nouvelle donne de la politique étrangère russe ? Quel rôle votre pays entend-il occuper dans la reconstruction de l’Irak et, plus largement au Moyen-Orient, dans le cadre du « Partenariat pour un avenir commun avec la région du Moyen-Orient élargi et de l'Afrique du Nord » adopté par le Sommet annuel du G8 en juin dernier ?

S.E.M.A.A. :
Tout d’abord, je souhaiterais clarifier le contexte de la formation d'un « axe Paris-Berlin-Moscou ». Ce n'est pas l'objectif de la Russie. Il s'agit plutôt, pour nous comme pour nos partenaires, d'un dialogue conditionné par des similitudes importantes dans la façon d'envisager la solution des grands problèmes du monde. Tout d'abord, nous avons la volonté commune d’élaborer un système de relations internationales fondé sur les principes du droit international, et sur le rôle déterminant de l'ONU et de son Conseil de sécurité. Les rencontres à trois ne constituent ni un club fermé, ni un contrepoids dans nos relations avec les autres Etats.
La compréhension de la nécessité d'une riposte collective au terrorisme détermine l'intérêt de la Russie pour le développement de la coopération avec tous les Etats intéressés, sur une base tant bilatérale que multilatérale. Notre collaboration avec la France et l'Allemagne dans ce domaine peut constituer un bon exemple de travail.
Avec l'Irak, nous avons entretenu des liens économiques fructueux pendant plusieurs décennies, qui englobaient différentes sphères : l'énergie électrique, l'irrigation, l'eau, le pétrole, etc. Les compagnies russes ont accumulé une immense expérience de travail dans ce pays, où nous avons formé les spécialistes irakiens. La Russie est donc prête à s'impliquer, de façon active et large, dans la reconstruction de l'Irak. L'essentiel est que cette participation repose sur les principes de l'impartialité, de la transparence et de la concurrence. L'envoi de spécialistes russes en Irak deviendra possible dès lors que le niveau requis de sécurité sera assuré.
L'idée du G8 d'aider à la démocratisation des pays du Proche-Orient va en outre dans le bon sens. Toutefois, pour définir le niveau de la participation russe à sa concrétisation, nous partirons d'un principe : cette initiative et les instruments qu'elle sous-entend ne doivent pas servir à s'ingérer dans les affaires intérieures d'autres pays. La Russie a toujours mené une politique extérieure indépendante au Proche-Orient, elle la poursuivra à l'avenir, en collaborant avec ses partenaires traditionnels, et développera ses relations avec les pays membres de l'Organisation de la Conférence Islamique.

L.L.D. : Plus globalement, en dépit de ses difficultés structurelles, la Russie a acquis un rôle de poids sur la scène internationale comme en témoigne la participation du Président Vladimir Poutine aux commémorations du débarquement allié en Normandie. Que vous inspire cette reconnaissance du rôle joué par votre pays dans la libération de l’Europe du joug nazi ?

S.E.M.A.A. :
Nous y voyons un reflet de la justice historique. On peut penser ce que l'on veut de l'héritage de l'Union soviétique. Mais il ne fait aucun doute que l'URSS, dont la Russie est l'héritière de droit, a joué un rôle capital dans la victoire sur le nazisme durant la Seconde guerre mondiale. Les victoires de Stalingrad et du saillant de Koursk ont assuré un retournement qui a ouvert la voie à la défaite de l'ennemi commun. Personne n'est en droit d'oublier que la Russie a dû payer le prix fort – 26 millions d'hommes – pour la victoire sur le fascisme. C'est pourquoi nous considérons que toutes les raisons étaient réunies pour la présence du Président de la Russie aux commémorations en Normandie. Nous sommes reconnaissants aux dirigeants français, et au Président Jacques Chirac personnellement, pour son invitation. La participation russe traduit aussi le fait évident que notre pays demeure l'un des facteurs-clefs de la stabilité et de la sécurité en Europe et dans le monde, et qu'il est impossible de se passer de son partenariat pour contrer les menaces contemporaines.

L.L.D. : Réuni le 21 mai 2004, le Sommet UE-Russie a vu, pour la première fois, la participation des nouveaux Etats membres de l’UE dont cinq viennent également d’adhérer à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Quelles sont, selon vous, les implications de l’élargissement européen pour les relations qu’entretient votre pays avec les pays d’Europe de l’Est et, plus généralement avec l’UE ? Fort de la création d’espaces communs de coopération à l’été 2003, quelles applications concrètes peuvent-elles être faites de l’appel lancé par le Président Vladimir Poutine pour un « rapprochement économique et spirituel » entre les deux partenaires ? Membre du Conseil Euro-Atlantique, comment la Russie entend-elle développer son partenariat avec l’OTAN, notamment en matière d’inter-opérabilité ?

S.E.M.A.A. :
Les relations mutuelles avec l'Union européenne et l'OTAN sont au nombre des priorités de la politique extérieure russe. En tant que pays européen qui porte une responsabilité particulière dans la stabilité et la sécurité du continent, la Russie est attachée à développer un partenariat riche et diversifié avec ces deux organisations, sur la base de l'égalité des droits et de la prise en compte réciproque de leurs intérêts. L'importance de ces relations pour la Russie et, plus généralement, pour les pays membres de la CEI est croissante. Les processus d'intégration qui se développent dans les deux parties composant le continent européen, sont appelés, selon nous, à servir la création d'un espace européen commun de sécurité et de prospérité, exempt de nouvelles lignes de démarcation.
C'est cet esprit qui imprègne notre collaboration avec l'Union européenne, fondée sur l'Accord de partenariat et de coopération, signé en 1994. Au mois de mai 2003, l'adoption d'une nouvelle philosophie de la coopération lors du sommet Russie-UE de Saint-Pétersbourg a marqué une étape qualitativement nouvelle dans le renforcement de notre partenariat. Il est maintenant tourné vers la création d'espaces européens communs dans les domaines de l'économie, de la sécurité intérieure et extérieure, de la science et des technologies, aspects culturels inclus. Cette démarche recèle un intérêt commun pour une Europe forte, unie, agissant avec efficacité sur la scène internationale en Europe, capable de trouver des réponses viables aux menaces et défis de notre temps.
La création d'espaces communs suppose d'éliminer les obstacles entravant la coopération commerciale et des investissements, les liens scientifiques, techniques et culturels, le libre contact entre les hommes à l'échelle de tout le continent européen. On créera dans ce but des bases juridiques identiques pour résoudre avec efficacité les problèmes de la sécurité intérieure et extérieure communs à tous les pays européens. Nous travaillons ainsi, avec nos partenaires de l'UE, à l'élaboration de plans d'action concrets, de « feuilles de routes » pour la formation de tels espaces. Nous espérons que les résultats auxquels nous sommes parvenus dans cette voie seront consacrés lors du sommet Russie-UE de La Haye, le 11 novembre prochain.
La perspective de voir les pays d'Europe centrale et les Etats baltes entrer dans l'Union européenne ne nous a pas effrayés. Mais nous avions des préoccupations légitimes qui revêtaient un caractère rationnel, car il s'agissait de modifier les relations avec nos partenaires commerciaux traditionnels, d'assurer la vie de la région de Kaliningrad, coupée de la « grande » Russie par le territoire d'un nouveau membre de l'UE. Il s'agissait aussi de la situation des minorités russophones en Lettonie et en Estonie. A l'issue des pourparlers entre la Russie et l'UE sur ces questions, une déclaration conjointe a été adoptée, incluant des solutions mutuellement acceptables. Toutefois, une déclaration n’est pas suffisante à elle seule. Il faut assurer la réalisation totale et en temps opportun, des ententes convenues. Elles concernent en premier lieu le transit des marchandises de Kaliningrad, la coopération énergétique, la question des visas, la défense des droits de l'Homme et des minorités, notamment du droit à recevoir une instruction dans sa langue maternelle, à devenir citoyen du pays dans lequel on est né et où l’on réside.
La compréhension mutuelle de la nouvelle situation géopolitique, de l'importance de conjuguer les efforts pour contrer les nouvelles menaces, dont les plus importantes sont le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive et les crises régionales, a également déterminé l'avancée vers une nouvelle dimension des relations entre la Russie et l'OTAN. Celle-ci a été consacrée dans la déclaration que la Russie et les Etats de l'OTAN ont adopté à Rome en 2002. La coopération avec l'Alliance dans les différents domaines se développe désormais dans le cadre du Conseil Russie-OTAN des « vingt » comme on dit, au sein duquel tous les participants interviennent sur un pied d'égalité. Nous considérons que la collaboration avec l'OTAN a atteint un niveau élevé, notamment en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme international, l'opposition à la dissémination des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. La Russie a ainsi confirmé son intention de participer aux manœuvres navales en Méditerranée dans le cadre de l'opération « Active Endeavour ». Le travail se poursuit en vue de créer un système collectif de défense antimissile non stratégique. On élève également le niveau de compatibilité opérationnelle des forces armées de la Russie et de l'OTAN, de même que l’on étudie les questions liées à l'adhésion de la Russie, à la fin de cette année, à l'accord sur le Statut des forces, dit SOFA.
La Russie poursuivra le développement dynamique de ses relations, aussi bien avec l'Union européenne qu'avec l'Alliance de l'Atlantique Nord, mais sans oublier ses intérêts nationaux propres. Nous accordons une attention particulière à l'abandon de la politique de « deux poids, deux mesures » dans la manière d'aborder des questions capitales comme la lutte contre le terrorisme international, le respect des droits des minorités nationales ou l'entrée en vigueur de l'accord sur l'aménagement du Traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE), accord fondamental pour la sécurité européenne. La Russie et ses partenaires de la CEI – l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan – ont ratifié cet accord. Nous espérons que leur exemple sera suivi par les autres pays membres du Traité FCE.

L.L.D. : Illustrant le haut degré de confiance des relations entre la Russie et la France, le Président Jacques Chirac a été le premier ressortissant étranger à visiter, le 3 avril 2004, le Centre spatial de Krasnoznamensk. Fort des propositions de l’ancien Ministre français des Affaires étrangères pour renforcer le cadre du dialogue et de la coopération entre la Russie et l’UE, comment définiriez-vous la place de la France dans la politique étrangère russe et, plus précisément dans le processus de rapprochement russo-européen ?

S.E.M.A.A. :
Vous avez eu raison de remarquer que les relations russo-françaises se caractérisent aujourd'hui par un haut degré de confiance à tous les niveaux et, en premier lieu, entre les dirigeants de nos deux pays. Le mérite en revient d’ailleurs, pour une large part, aux deux présidents russe et français. Parallèlement, la confiance mutuelle est conditionnée à la fois par la proximité ou la coïncidence de leurs positions sur un large éventail de problèmes, et par l'histoire des relations entre la Russie et la France, marquée par une profonde sympathie réciproque. Aussi, est-il tout naturel que votre pays occupe une des toutes premières places dans le système des repères de la politique extérieure russe. Le dialogue politique se développe de façon active, la coopération économique prend de la vitesse et les échanges culturels peuvent faire l’objet d’une fierté particulière.
Nous voyons ainsi en la France un partisan du renforcement des relations entre la Russie et l'Union européenne. Les dirigeants français comprennent parfaitement bien qu'il n'y a pas d'autre choix que ce processus et ils y participent activement, ce dont nous leur sommes reconnaissants. C'est un préalable important au bon développement du partenariat paneuropéen.

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