Célébrer un partenariat franco-allemand dynamique au service de l’Europe

Paru dans La Lettre Diplomatique n°124 4ème trimestre 2018

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Par M. Didier VIDAL
Directeur de La Lettre Diplomatique

Alors que l’Europe s’apprête à entrer dans sa campagne électorale, certainement la plus décisive depuis qu’en 1979 le Parlement européen est élu au suffrage universel, tout le monde s’interroge sur les orientations que prendra la construction européenne tandis que les questions, les doutes et les obstacles fusent de toutes parts et entament la volonté de progrès des dirigeants européens les plus déterminés à agir.
Nul ne sait encore quelle sera l’issue du Brexit qui a mobilisé la diplomatie européenne durant 18 mois. Mais loin d’avoir divisé les Européens, et nullement fissuré le couple franco-allemand, cette « négociation du siècle » a plutôt resserré leurs rangs. En France, le mouvement social des « Gilets jaunes », sans entamer la volonté réformatrice du Président Emmanuel Macron, telle qu’elle s’était exprimée lors de son discours de la Sorbonne du 17 septembre 2017, en a de facto réduit le rythme mais pas les ambitions. En Allemagne, jadis considérée comme le pôle de stabilité en Europe, l’après Merkel, qui a commencé, pose déjà de nouvelles questions en terme d’orientation. Il n’est que de voir la division qui s’est opérée au sein des Européens, lors de l’approbation du pacte de Marrakech sur les migrations « sûres, ordonnées et coordonnées » pour mesurer le schisme qui s’est manifesté une nouvelle fois entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe centrale et orientale qui ne partagent pas les mêmes visions, voire les mêmes valeurs sur ces sujets constituant pourtant ce que l’on peut considérer comme partie du patrimoine européen.
En ces moments d’interrogation, de repli sur soi, de montées des forces nationalistes, de plus en plus souvent xénophobes, des réponses se doivent d’être apportées, d’abord au niveau national, puis régional et local. La coopération franco-allemande, qui a toujours mis l’accent sur les liens entre régions, surtout frontalières, largement illustrés dans ce numéro spécial de La Lettre Diplomatique, peut et doit apporter sa contribution à ces graves questions. Ce sera l’un des enjeux du nouveau traité de coopération et d’intégration franco-allemand signé le 22 janvier 2019 à Aix-la-Chapelle. C’est de l’avenir de l’ensemble des territoires européens insérés dans le mouvement de la globalisation dont il s’agit. Mais une réponse européenne coordonnée, réfléchie et solidaire apparait nécessaire. Il est donc bien naturel de s’en retourner vers la relation, le couple, le tandem ou le moteur franco-allemand, tel qu’on le dénomme selon ses convictions ou ses intérêts.

Cette relation entre les deux voisins apparaît, en effet, insistons-y, comme unique au monde. Elle a été véritablement impulsée et symbolisée par la profonde entente qui s’est instaurée entre ces deux hommes d’État exceptionnels que furent le Président Charles de Gaulle et le Chancelier Konrad Adenauer. Tous deux ont su tirer les leçons de l’histoire et tracer les chemins de l’avenir sur lesquels nous nous mouvons aujourd’hui encore. Leur œuvre majeure, le traité franco-allemand dit de l’Élysée, dont les dispositions figurent au cœur de ce numéro spécial, reste incontestablement une des grandes initiatives de l’action diplomatique contemporaine.
Certes, même si depuis peu la France et l’Allemagne ne sont plus l’une pour l’autre le premier partenaire commercial qu’elles ont été traditionnellement, leurs liens de toute nature restent très forts et s’accroissent chaque jour, comme en atteste la démarche toute récente franco-allemande visant à créer un champion européen des piles électriques afin de rendre l’Union européenne plus autonome dans ce secteur d’avenir. Avec l’accroissement des synergies en matière d’intelligence artificielle et dans le domaine de la transformation numérique de l’économie, ce secteur d’activités témoigne des capacités d’innovation dont jouissent les deux pays.
Dès ses origines dans les années 1950, lors de l’après-guerre, cette coopération franco-allemande a constituée le socle de la construction européenne. Est-ce un hasard si l’Hymne à la Joie de Beethoven, ce grand européen, a été choisi pour hymne des Communautés européennes. Dès le plan Schuman, ce lorrain né en Allemagne, puis lors de la négociation du traité de Rome, France et Allemagne ont été à l’origine des grandes initiatives et leur étroite symbiose reste le fondement qui a impulsé tout progrès dans la construction européenne. Que n’a-t-on opposé le modèle allemand et le système social français ? Que n’a-t-on souhaité de chaque côté du Rhin une convergence économique et sociale accrue ? Cette publication y fait maintes fois allusion, en livrant de riches enseignements émanant d’acteurs éclairés et engagés qui ne se dissimulent pas dans un langage convenu. C’est d’ailleurs ce caractère riche et diversifié de la coopération franco-allemande que La Lettre Diplomatique a voulu présenter à ses lecteurs.
N’en doutons pas, réconciliation et coopération franco-allemande, construction européenne, action et rayonnement de l’Europe dans le monde, prospérité économique et croissance, sont les faces d’une même monnaie devenue par la volonté du Président François Mitterrand et du Chancelier Helmut Kohl, notre monnaie commune qui célèbre ses 20 ans.
N’oublions pas non plus que cette Europe qui n’a jamais été une Europe franco-allemande, loin de là, n’a pas manqué d’être saluée de tous côtés, comme l’une des grandes réussites, humaine, politique et diplomatique du dernier demi-siècle dans le monde. À voir comme elle est parfois enviée en Corée ou au Japon devrait nous rassurer. Le couple franco-allemand n’a pas la prétention, ni même la possibilité d’imprimer sa marque exclusive sur le projet européen. Il se veut néanmoins, comme l’illustre les nombreuses contributions qui suivent, une avant-garde, mettant en commun, les énergies et les forces d’une gamme diversifiée d’acteurs qui va bien au-delà des cercles de dirigeants politiques, diplomatiques et économiques ; c’est d’ailleurs l’une des spécificités de cette coopération franco-allemande dotée de structures et de mécanismes fort développés que de réunir une foule d’acteurs provenant de la société civile.
Elle a été une force d’impulsion, de proposition, d’entraînement et de mise en œuvre des nombreuses décisions qui ont tissé la toile européenne, qui comme celle de Pénélope doit faire l’objet d’une attention constante. Chaque citoyen en perçoit plus ou moins, il est vrai les effets : agriculteurs, apprentis, étudiants, dont la mobilité s’est considérablement accrue, jeunes participants à une des nombreuses manifestions organisées par l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ), syndicalistes et partenaires sociaux, militants de la cause climatique, mais aussi et surtout industriels et entrepreneurs engagés dans une fructueuse coopération, premiers bénéficiaires d’un grand marché sans frontières, disposant avec l’euro d’une monnaie forte et stable, même si elle impose des disciplines parfois difficiles.
Gageons qu’à la lecture de ce numéro, publié entre ces deux années charnières que sont 2018, année du centenaire de l’anniversaire de la fin de la Grande Guerre, et 2019, celle du 80ème anniversaire du déclenchement de la Seconde guerre mondiale, au-delà des justes célébrations de ce passé tragique qui a failli engloutir l’Europe dans le chaudron guerrier, chacun portera son regard, formulera ses espoirs et agira pour l’avenir qui, n’en doutons pas, sera toujours en bonne partie, façonné par cette emblématique coopération franco-allemande que l’on a eu l’honneur et le plaisir de présenter à nos lecteurs.