Entretien avec M. Gillmore A. HOEFDRAAD
Ministre des Finances de la République du Suriname
La Lettre Diplomatique : Monsieur le Ministre, dans le cadre de votre déplacement en France, vous vous êtes rendu le 3 avril 2019 au Ministère français des Finances. Pourriez-vous nous décrire l’évolution des liens de coopération franco-surinamiens ?
M. Gillmore A. HOEFFDRAAD : Cette visite à Paris était prévue de longue date. Mais elle s’inscrit également dans le cadre de ma participation à la réunion annuelle de la Banque islamique de Développement (BID) dont le Suriname est un pays membre et qui se tenait cette année au Maroc du 3 au 6 avril. Mes échanges avec nos partenaires français ont permis de poursuivre le dialogue constructif qu’entretiennent le Suriname et la France, y compris sur les questions d’ordre financier. Nous aspirons par exemple à approfondir l’assistance technique que la France peut nous apporter dans le cadre des réformes que nous avons initiées au lendemain de la crise économique de 2015-2016. Nous disposons d’ailleurs d’un prêt de 40 millions de dollars de la BID pour développer ce type de coopération technique. Nous portons à cet égard un intérêt particulier à l’amélioration du fonctionnement de l’administration fiscale et du système d’imposition.
D’une manière générale, le seul fait de partager une frontière commune, avec la Guyane française, constitue un puissant motif de coopération entre nos deux pays. Ces dernières années, nous avons ainsi multiplié les initiatives dans différents domaines comme ceux de la santé ou de la sécurité, notamment en matière de lutte contre le narcotrafic et la criminalité.
L.L.D. : Une série d’incidents sur le fleuve Maroni a récemment provoqué la suspension des patrouilles conjointes franco-surinamiennes dans une partie de la région transfrontalière. Dans quelle mesure votre visite en France illustre-t-elle la volonté des gouvernements surinamien et français de surmonter ces incompréhensions ?
G.A.H. : Comme vous le savez, le Ministère surinamien des Finances joue un rôle minime dans la gestion des incidents auxquels vous faites référence et qui sont plutôt du ressort de nos ministères respectifs de l’Intérieur, de la Défense et de la Justice. Mais, je suis convaincu que nous partageons une volonté commune d’aller de l’avant et d’inscrire notre coopération dans la durée. Je pense qu’entre pays voisins, il faut saisir toutes les opportunités pour améliorer nos relations. En outre, il ne faut pas oublier l’importance des projets mis en oeuvre avec l’Agence française de Développement (AFD).
L.L.D. : L’accord de coopération que vous avez signé avec l’AFD fin 2015 arrive à son terme en 2019. Quelles en sont les perspectives de prolongement ?
G.A.H. : Il ne fait aucun doute que ce partenariat est appelé à se poursuivre comme en témoigne le prêt additionnel que l’AFD à récemment accordé au Suriname pour rendre l’hôpital d’Albina opérationnel. Mais nous envisageons également des projets concernant la connexion par ferry entre Saint-Laurent et Albina, ou encore le développement des capacités de fourniture d’eau potable et d’électricité. Ces projets de coopération se concentrent surtout dans la région transfrontalière où les besoins de développement restent importants. Mais nous pensons aussi que l’expertise française peut nous être bénéfique dans de nombreux autres domaines.
L.L.D. : Après avoir subi une crise économique difficile, le Suriname a renoué depuis 2017 avec une dynamique de croissance. Comment se poursuit son Plan de stabilisation financier ? Dans quelle mesure considérez-vous que la dette publique reste encore un point faible ?
G.A.H. : Notre pays a, en effet, traversé une crise économique de grande ampleur. Alors que la croissance moyenne était de 3% par an, le PIB du Suriname s’est contracté de 8% en 2015-2016.
Cette crise, que nous appelons « le triple choc », a résulté de trois facteurs : l’arrêt de la production de bauxite, la chute du prix du pétrole qui est passé de 100 à environ 35 dollars le baril, ainsi que celle du prix de l’or qui est passé de 1 900 à moins de 1 100 dollars l’once. Cette conjoncture a provoqué une chute de 47% de nos exportations et d’un tiers des recettes de l’État. En 2015, le déficit fiscal a atteint jusqu’à 10,2% du PIB en 2015.
Mais nous avons réussi à stabiliser l’économie surinamienne. Nous avons mis en place un plan de stabilisation financier. Nos dépenses ont été réduites, à hauteur de 8% du PIB entre 2015 et 2017. Le taux de change s’est globalement stabilisé permettant ainsi de faire baisser le taux d’inflation. Enfin, s’agissant de la balance des paiements, le déficit courant a été ramené de 16% du PIB à presque 0.
En 2017, l’économie surinamienne a ainsi pu retrouver une croissance positive de 1,7%. J’ajouterais que tous ces efforts ont été accomplis tout en apportant un fort soutien aux franges de la population les plus vulnérables aux conséquences de la crise. Je pense que rares sont les pays qui seraient parvenus à surmonter ces difficultés et à faire montre d’autant de résilience.
En ce qui concerne le niveau d’endettement du Suriname, je suis en désaccord avec l’idée selon laquelle il serait un handicap pour notre redressement économique. Il faut comprendre que le niveau de la dette est artificiellement élevé du fait de l’ajustement du taux de change et de la chute des revenus fiscaux. Or, depuis 2017, la stabilisation de la dette a été favorisée par une sévère contraction du déficit fiscal, une croissance économique renouvelée et un taux de change stabilisé. De plus, notre pays a continué à financer sa dette sans problème. Je vous invite à en observer la structure. La dette extérieure en représente les deux tiers et celle-ci repose pour l’essentiel sur des prêts préférentiels. Notre bailleur de fonds multilatéral le plus important est, par exemple, la Banque inter-américaine de Développement (IBD). Nous comptons bien entendu des bailleurs de fonds bilatéraux comme la France ou la Chine qui demeure le plus important.
L.L.D. : Quelles sont vos marges de manœuvre pour réduire les subventions de l’État surinamien aux entreprises publiques ?
G.A.H. : Il s’agit en effet d’un enjeu économique délicat. Nous sommes conscients qu’elles mobilisent une partie des ressources financières de l’État et qu’elles pourraient être supprimées. Mais il faut se garder de ne raisonner qu’en technicien de l’économie. Il faut également tenir compte des implications qu’une telle mesure, prise brutalement, pourrait avoir au plan social. À cet égard, je garde à l’esprit les crises qu’ont traversées certains pays, parfois au prix de milliers de morts, comme le Venezuela avec la « Caracazo », la République Dominicaine, le Nicaragua ou Haïti.
L.L.D. : Parmi les grandes mesures annoncées dans le cadre de la stabilisation financière, l’introduction d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) prévue en 2019 a été repoussée. Quels facteurs ont motivé cette décision ? Au-delà, qu’en est-il du Fonds d’économies et de stabilisation du Suriname (SSSF) ?
G.A.H. : Pour être tout à fait honnête, nous avons surestimé l’ampleur et la complexité de cette réforme dont les implications concernent l’ensemble de l’économie. Nous avons pris conscience d’un certain nombre de problématiques soulevées par le processus d’introduction de la TVA comme la nécessité de moderniser notre système fiscal et de sa transformation numérique. De plus, un certain nombre de départements de notre administration doivent être mieux préparés. Dès lors, nous avons fait le choix de repousser l’application de cette réforme pour nous donner le temps d’investir dans les ressources humaines et techniques nécessaires à sa réussite.
Quand à notre projet de fonds souverain, le SSSF (ndlr, pour Saving and Stabilisation Fund), il devrait être opérationnel cette année. Nous sommes déjà en train de finaliser les aspects techniques de son fonctionnement. Il reste désormais à mettre en place les dispositifs législatifs qui permettront de l’abonder, principalement à partir des revenus de notre production minière. Le SSSF est appelé à devenir l’un des instruments de la croissance durable de l’économie surinamienne.