Par M. Eugène BERG
Ancien Adjoint au Directeur de la Commission interministérielle pour la Coopération franco-allemande (CICFA), ancien Ambassadeur de France
Peu après la chute du Mur de Berlin, j’ai rejoint la Commission interministérielle pour la Coopération franco-allemande (CICFA), auprès d’André Bord, son président, qui avait été Ministre du Général de Gaulle, puis des présidents Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing.
On peut dire que pour cet Alsacien, ancien résistant, condamné à mort par les nazis, qui avait commencé sa carrière comme assistant du maréchal König, le vainqueur de la bataille de Bir Hakeim menée contre l’Afrika Korps de Rommel, la réconciliation, puis la coopération franco-allemande fut l’affaire de sa vie. Il a su, en effet, en quelques années lier de véritables relations d’amitiés avec ses homologues qui furent Rainer Barzel, ancien Secrétaire général de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU) ou Gerhard Stoltenberg, ancien Ministre de la Défense du Chancelier Helmut Kohl.
André Bord les félicitait à l’occasion de leurs fêtes familiales et n’hésitait pas à se rendre à leurs anniversaires, pratique aujourd’hui, un peu oubliée, mais qui donne tout son sens à l’amitié franco-allemande et lui confère son visage humain. À l’heure où la coopération franco-allemande est devenue une mécanique bien huilée, une intense, sinon permanente coopération politique, diplomatique et administrative, il convient de ne pas oublier qu’elle fut aussi, lors de ces années encore fondatrices, surtout une affaire profondément humaine. Il s’agissait alors de tisser des liens de compréhension, d’amitié, allant au-delà de la défense des légitimes intérêts nationaux des deux partenaires et voisins.
C’est ainsi qu’après novembre 1989, une des tâches de cette coopération fut d’aller à l’encontre de l’ex-République démocratique d’Allemagne (RDA), qui fut appelée celle des Fünf Neue Bundesländer : les cinq nouveaux États fédéraux (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, Brandebourg, Saxe-Anhalt, Saxe et Thuringe). Cette autre Allemagne était symbolisée par tant de lieux prestigieux, parmi lesquels Weimar, siège de l’éphémère République éponyme, Iéna où a étudié Karl Marx et enseigné Schiller, Gotha, avec son fameux dictionnaire, Dresde connue comme la Florence de l’Elbe, ravagée par les bombardements de février 1945, Halle, patrie de Händel, sans parler de l’ancien Berlin-Est.
Avec cette Allemagne les liens avaient été pratiquement coupés depuis de longues décennies. Tout était à bâtir : jumelages de villes, appariement d’écoles, coopération universitaire, échanges humains, culturels et économiques, compétitions sportives, échanges commerciaux, investissements… Dès que le processus de privatisation fut lancé à la fin d’octobre 1990, conduit par la Treuhand, dont le premier président fut abattu par la Rote Armee Fraktion, nous nous sommes efforcés d’y intéresser les entreprises françaises, via le Conseil national du patronat français (ancêtre du MEDEF), les chambres de commerce et d’industrie, les fédérations professionnelles, le riche carnet d’adresses et les contacts personnels d’André Bord qui furent d’une grande utilité.
Durant des semaines je me suis rendu avec lui auprès de tous les Ministres-Présidents des nouveaux Länder, des maires des grandes villes, des présidents d’universités, des ensembles musicaux dont le célèbre Gewandhaus de Leipzig.
Mais auparavant je fus aux côtés d’André Bord et de Serge Boidevaix, Ambassadeur de France en Allemagne, qui fut le seul français à avoir assisté aux cérémonies marquant la naissance de l’Allemagne réunifiée dans la nuit du 2 au 3 octobre 1990, sur les pelouses face au bâtiment du Reichstag, vite envahies par une foule enthousiaste. Le lendemain, j’ai marché toute la journée dans un Berlin-Est en fête, dans lequel les officiers supérieurs allemands et leurs collègues de l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN) pénétreraient non sans un soupçon de fierté.
Un Berlin-Est, envahi d’une foule enthousiaste, formée de millions de citoyens de toute l’Allemagne, désireux d’assister à cette page historique, joyeuse, et lumineuse de leur histoire. Un rare moment d’accomplissement, d’unanimité, d’espérance qui illumine les marches de l’avenir.
Toute cette action de contact, de compréhension, d’écoute avec la nouvelle Allemagne qui avait conservé bien de ses traits traditionnels de l’ancienne, provinciale et ancestrale, fut à la fois une plongée dans l’histoire et un regard porté vers l’avenir, un avenir commun franco-allemand et européen.
De 1989 à 1993, date à laquelle j’ai poursuivi cette action comme Consul général de France à Leipzig, ville de Foire et ancienne capitale européenne du livre, où s’était déroulée en octobre 1813, la « bataille des Nations », un des plus grands affrontements militaires de l’histoire, de ce passage d’une décennie à l’autre, la dernière du siècle dernier, bien des bases humaines quotidiennes, charnelles, de la coopération allemande furent établies ou consolidées.