Par Mme Claire DEMESMAY
Directrice du Programme sur les relations franco-allemandes de l’Institut allemand de politique étrangère (DGAP) à Berlin,
Docteur en philosophie politique
Le nouveau traité franco-allemand est anachronique, et c’est ce qui en fait la force. En Europe, l’heure est au chacun pour soi. Les clivages et tensions se multiplient, étouffant les velléités d’intégration et allant jusqu’à menacer la cohésion de l’Union européenne. Dans ce contexte, Paris et Berlin font le pari de renforcer leur coopération bilatérale. Ils auraient pu se contenter d’une simple déclaration, ils ont fait le choix d’un traité international, plus contraignant dans sa mise en œuvre.
De ce point de vue, ce traité est d’abord un symbole. Comme l’accord parlementaire élaboré en parallèle par l’Assemblée nationale et le Bundestag, il se veut un message d’espoir à l’heure où l’UE traverse une grave crise de légitimité et fait face à de violentes attaques – à l’extérieur comme à l’intérieur, avec une remise en cause de sa raison d’être de la part de plusieurs dirigeants européens. Ouvrir ainsi l’année 2019, c’est apporter un contrepoint au Brexit et à des élections européennes qui s’annoncent favorables aux forces populistes et nationalistes.
Au-delà du geste, ces deux textes visent à améliorer la transparence et l’efficacité des processus franco-allemands. Dans la continuité du traité de l’Élysée de 1963, les deux exécutifs misent sur des mécanismes de concertation pour rapprocher les cultures politiques dans des domaines aussi stratégiques que l’économie et la défense. Dans le même sens, l’accord parlementaire encourage les commissions des deux assemblées à échanger sur des sujets d’intérêt commun et à transposer les directives européennes de manière conjointe, alors que ces processus ont jusqu’à aujourd’hui un cadre exclusivement national. Ces mesures n’ont certes rien d’automatique et ne pourront être appliquées qu’avec la bonne volonté des acteurs concernés. Si elles l’étaient, elles contribueraient à une meilleure compréhension mutuelle, souvent insuffisante pour dépasser des malentendus tenaces, et favoriseraient le décloisonnement des sphères publiques nationales.
Quant au renforcement de la coopération transfrontalière, que les gouvernements et les députés appellent de leurs vœux, il apporte une réponse intéressante aux blocages intra-européens. Le paradigme traditionnel de l’intégration européenne est aujourd’hui mis à mal par des coalitions du non – qu’il s’agisse du groupe de Višegrad sur la politique d’asile ou de la ligue hanséatique, qui regroupe des États du Nord opposés au partage du risque financier au sein de la zone euro. Or, doter les régions transfrontalières de compétences autonomes, comme le souhaitent les parlementaires, permettrait non seulement de répondre aux préoccupations des citoyens concernés, mais aussi de contourner les blocages et de redonner au « franco-allemand » son rôle de laboratoire de l’intégration européenne.
Cela étant, renforcer la coopération bilatérale a aussi un écueil, celui de se mettre à dos des partenaires craignant d’être écartés des grandes décisions européennes par un directoire franco-allemand. Pour éviter cet écueil, la pédagogie ne suffira pas, elle devra aussi s’accompagner du souci de l’inclusion. Mais surtout, tout dépendra de la manière dont le traité et l’accord parlementaire seront mis en application. Ils se contentent de fournir des outils qui demandent à être utilisés. Rien ne serait pire que d’avoir créé un symbole qui ne serait pas suivi d’effet.