Par M. Jean-Pierre RAFFARIN
Ancien Ministre, Président de Leaders pour la Paix
En 2020 je vais fêter mes 50 ans de Chine depuis mon premier voyage en 1970. Je suis le témoin du formidable développement de la Chine. J’ai vu la Chine globalement sortir de la pauvreté. J’ai vu les voitures remplacer les vélos, j’ai vu les tours remplacer des taudis, j’ai vu les couleurs des vêtements remplacer le gris des uniformes. J’ai vu la Chine devenir fière d’elle-même. Je reste prudent sur mes analyses ; en cinquante ans, j’ai juste compris que la Chine était complexe et souvent paradoxale aux yeux des Occidentaux.
La tristesse a quitté la rue chinoise
Le plus impressionnant de ce retour de la Chine aux premiers rangs des nations du monde c’est la vitesse d’exécution. D’un voyage à l’autre, il est difficile de reconnaître la Chine. Je suis marqué par les progrès faits en matière de logement. J’ai connu les temps difficiles ou quatre ou cinq personnes, parfois plus, vivaient dans la même pièce. Maintenant le confort moderne a pénétré la Chine profonde. On ressent dans la rue chinoise un changement humain majeur : la population et notamment les jeunes semble avoir confiance dans l’avenir. La tristesse a quitté la rue chinoise.
Le développement de la Chine présente deux gros avantages pour le monde. D’une part, les centaines de millions de Chinois qui sont sortis de la pauvreté viennent grossir les effectifs de la classe moyenne mondiale. La lutte contre la pauvreté reste une priorité partagée par tous. D’autre part, le retour de la Chine sur la scène mondiale est un puissant facteur d’équilibre pour la coopération internationale. La réussite de la Foire des importations de Shanghai (CIIE) illustre la volonté d’ouverture de la Chine en opposition à la logique de fermeture des États-Unis. La tension commerciale entre les États-Unis et la Chine impacte fortement les relations internationales aujourd’hui.
Beaucoup d’Occidentaux pensaient que la politique de « Réforme et d’Ouverture » conduirait la Chine à évoluer comme les républiques de l’Ouest. Mais la Chine suit son propre chemin. Ces derniers se sont trompés. XI Jinping a été très clair « le socialisme aux caractéristiques chinoises » gouverne et gouvernera la Chine. Pour moi l’essentiel de ces « caractéristiques » c’est le leadership du Parti. Il est évident pour les observateurs attentifs que le Parti communiste chinois (PCC) est la colonne vertébrale de la République Populaire de Chine. Les systèmes politiques de l’Ouest et de la Chine sont donc durablement différents.

La coopération mieux que les tensions
De nombreux défis restent cependant à relever en Chine comme dans tous les pays du monde. La question de l’environnement est une priorité car elle concerne l’économie mais surtout la santé de la population. La Chine joue un rôle mondial dans cette bataille contre la pollution depuis qu’elle s’est engagée en faveur des « accords de Paris » relatifs aux changements climatiques. La révolution digitale est aussi un défi important. Elle va changer l’économie et la société. Il va falloir veiller à ce que cette nouvelle économie favorise la création d’emplois pour tous. Ce n’est pas simple. Cela va aussi changer la société où tout individu sera en connexion avec la collectivité ce qui posera des questions concernant les libertés et la sécurité. Le sujet est complexe.
L’influence de la Chine dans le monde a naturellement considérablement progressé en 70 ans. Deuxième économie du monde, la Chine est présente partout par ses productions, mais elle est surtout présente par sa culture qui influence beaucoup de gens dans de nombreux pays. Par exemple, en France le Nouvel an chinois est pratiquement devenu un événement d’ampleur national. L’influence de la Chine est particulièrement visible en Afrique, où elle participe au développement du continent. Mais l’Amérique latine est aussi accueillante envers l’influence chinoise. Même aux États-Unis les deux tiers des diplômés en sciences est technologies sont d’origine asiatique. Dans les grandes institutions internationales, la Chine a conquis des postes à hautes responsabilités à l’Organisation des Nations unies (ONU), à l’Organisation des Nations unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO), au Fonds monétaire international (FMI), à l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), etc., et son influence au sein du multilatéralisme mondial est grandissante.
La diplomatie chinoise me paraît inspirée par une conviction très enracinée dans la culture chinoise : « la coopération vaut mieux que les tensions ». J’ai souvent entendu le Président XI prononcer cette phrase. Les deux pôles de cette diplomatie me semblent être l’Initiative « la Ceinture et la Route » (ICR) et le combat pour le multilatéralisme.
L’ICR est un grand projet international de coopération dans une période où nous connaissons un déficit de projets. Certaines nations sont inquiètes de la puissance nouvelle de la Chine ; la diplomatie chinoise s’est donnée comme objectif de les rassurer. Progressivement les investissements se mettent en place. Dans la situation mondiale troublée notamment par un retour de l’unilatéralisme, promu principalement par le Président américain, la Chine participe à la mobilisation pour un renouveau du multilatéralisme. La France s’inscrit aussi dans ce nécessaire travail diplomatique. La rencontre à Paris, à l’Elysée en mars 2019, entre le Président XI Jinping et les leaders européens Emmanuel Macron, Angela Merkel et Jean-Claude Juncker a marqué une avancée très importante dans cette bonne direction. En 70 ans, la diplomatie chinoise est passée de l’émergence pacifique au leadership coopératif.
Le peuple chinois, premier atout de la Chine
Il est très difficile de prévoir la clé du développement chinois pour les trente années à venir puisque personne dans le passé n’avait prévu un tel développement de la Chine. Ayons la franchise de dire que le monde a été surpris par la performance chinoise. Personnellement, j’ai une relation de confiance avec le peuple chinois, je le comprends bien et mon lien est très affectif. Je pense que le peuple chinois est le premier atout de la Chine. Quand on est à la fois intelligent et travailleur on a quand même toutes les chances de son côté. Pour cette raison, je pense que l’innovation est la clé de l’avenir en Chine. Le levier de l’avenir est « l’intelligence artificielle ». Dans ce match du futur, la jeunesse chinoise me paraît bien armée.
Je ne doute pas que la Chine aura atteint ses objectifs en 2049. L’essentiel pour moi est que les grandes nations veillent à ce que leurs objectifs nationaux soient compatibles avec ceux de la planète. Comme le disent les dirigeants chinois, « dans ce monde on ne peut réussir seul ». Pour cela deux priorités me semblent incontournables : d’une part, la survie de la planète face au changement climatique et, d’autre part, la recherche de la paix entre les nations. La Chine a su se mobiliser pour les questions environnementales et assume son histoire de pays pacifique. Ce sera très utile pour l’avenir. Toutes les formes de guerre sont mauvaises qu’elles soient militaires ou commerciales.
En s’engageant à se rendre en Chine tous les ans, Emmanuel Macron a montré sa détermination à travailler avec la Chine notamment pour inventer le multilatéralisme du 21ème siècle, condition d’un équilibre pacifique de la planète. Chacun doit défendre ses priorités de souveraineté, mais ensemble il faut repenser les relations internationales qui ont pris un coup de vieux depuis l’émergence de l’Asie et de l’Afrique.
Dans ce monde d’interdépendance nous devons élargir nos pensées au-delà de toute forme de nationalisme pour assumer notre destin commun. Pour tout cela la Chine restera utile au monde.