55 ans de liens privilégiés entre la Chine et la France

Paru dans La Lettre Diplomatique n°127 3ème trimestre 2019

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© Xinhua/Wang Ye Le Président chinois XI Jinping accueillant le Président français Emmanuel Macron au Grand Palais du peuple à Pékin, le 9 janvier 2018, à l’occasion de la première visite d’État qu’il a effectué en Chine.

En pleine guerre froide, la France et la République Populaire de Chine établissaient le 27 janvier 1964 des relations diplomatiques. 55 ans après, Paris et Pékin entretiennent des liens vigoureux et étroits couvrant un vaste éventail de domaines, de la défense du multilatéralisme à la gouvernance économique internationale, en passant par la lutte contre la pauvreté et le réchauffement climatique. De part et d’autre de l’Eurasie, Pékin et Paris considèrent que leur partenariat stratégique global peut devenir un moteur pour le renouveau de la cohésion du système international.

Huit mois après la visite d’État accomplie par le Président XI Jinping en France en mars 2019, le Président Emmanuel Macron doit effectuer une visite officielle à Shanghai et à Pékin les 5 et 6 novembre prochains, au lendemain des célébrations du 70ème anniversaire de la proclamation de la République Populaire de Chine.
Tout un symbole de la proximité affichée par les deux pays, alors que le G7 qui s’est tenu du 24 au 26 août 2019 à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) a fait naître de nouveaux espoirs quant à la capacité des « grandes puissances » à forger une plus grande concorde face aux grands défis internationaux.
Renforcement du multilatéralisme, gouvernance économique, lutte contre le réchauffement climatique, réduction de la pauvreté, transformation numérique de l’économie, intelligence artificielle, conquête de l’espace… Aucunsujet ou presque n’échappe à la concertation régulière entretenue par les capitales chinoise et française.

Un partenariat stratégique au cœur d’un nouvel ordre international en gestation

Ces visites mutuelles illustrent surtout le resserrement constant des liens entre les deux pays. Dès son élection à la tête de la République française, le 7 mai 2017, le Président Emmanuel Macron a cherché à nouer un dialogue direct avec son homologue chinois. Fin connaisseur de la Chine, l’ancien Premier Ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, transmettait le 16 mai, à Pékin, une lettre du chef de l’État français au Président chinois XI Jinping. Le tout nouveau Représentant spécial de la France pour la Chine participait alors au premier Forum de coopération internationale sur l’initiative « La Ceinture et la Route  ».
Moins d’un an plus tard, le chef de l’État français effectuait une visite d’État en Chine du 8 au 10 janvier 2018, débutée dans la ville de Xi’an, située dans la province du Shaanxi – dont est originaire le Président XI Jinping – point de départ, justement, des anciennes routes de la soie et qui fut un temps une capitale impériale et l’une des plus grandes villes du monde. Le Président Emmanuel Macron était alors le premier dirigeant européen à se rendre en Chine après la tenue du 19ème Congrès national du Parti communiste chinois (PCC). Proposant de revenir « une fois par an » en Chine, il a marqué les esprits en proposant de « réinventer le multilatéralisme ». Une manière de reconnaître le rôle primordial du partenaire chinois dans un monde marqué par de profondes transformations et, plus récemment, par les antagonismes croissants suscités par les prises de position de l’administration du Président américain Donald Trump.
Dans la perspective de faire entrer les relations sino-françaises dans une nouvelle ère, la Chine et la France ont mis en tête de leur agenda de coopération le développement durable. Un enjeu pris très au sérieux par la deuxième puissance économique mondiale qui accueille en 2020 la COP15 de la Convention de la diversité biologique (CBD). Quelques mois après l’annonce par les États-Unis de leur retrait de l’accord de Paris sur le climat le 1er juin 2017, le Président XI Jinping appelait d’ailleurs le 18 octobre 2017, lors du 19ème Congrès national du Parti communiste chinois, à consolider les efforts en vue de la construction d’une « civilisation écologique ».
Même si l’équation entre croissance économique et protection de l’environnement reste encore difficile à résoudre, la Chine consent à de lourds investissements pour y parvenir : en 2016, elle est devenue le premier producteur mondial d’énergie renouvelable (selon l’Agence internationale de l’énergie). D’ici 2020, ses investissements dans ce secteur devraient atteindre 360 milliards de dollars.

« Faire entrer les relations franco-chinoises dans une nouvelle ère »

De quoi cimenter la coopération sino-française autour d’intérêts communs d’envergure internationale et d’ini-tiatives telle que l’« Année franco-chinoise de la transition écologique » en 2018-2019, qui a prolongé les Mois franco-chinois de l’environnement organisés depuis 2013 par l’Ambassade de France en Chine. Proposée par la présidence française, elle s’est articulée autour de quatre projets phares, dont le projet de parc national pilote de Xianju qui vise à définir un nouveau modèle de gestion des espaces protégés. Ou encore la promotion de « villes-éponges », concept dont s’est emparé la Chine, régulièrement affectée par d’intenses précipitations et inondations, pour accroître la résilience des zones urbaines aux catastrophes naturelles. Deux projets soutenus par l’Agence française de Développement (AFD).
Cette convergence manifeste sur la protection de l’environnement et la promotion d’une croissance durable figure en bonne place au sein de la Déclaration conjointe franco-chinoise  sur la préservation du multilatéralisme et l’amélioration de la gouvernance mondiale » élaborée le 25 mars 2019 à l’occasion de la deuxième visite d’État du Président XI Jinping en France.
Significativement, cette déclaration conjointe met également en exergue « l’engagement » de la France et de la Chine « à préserver le JCPoA [pour Joint Comprehensive Plan of Action, l’accord conclu à Vienne le 14 juillet 2015 encadrant le programme nucléaire de l’Iran et levant les sanctions économiques qui le concernait] et à promouvoir des bénéfices économiques pour l’Iran via le maintien du commerce et des flux financiers conformément au droit international ».
Elle stipule également que « la France et la Chine entendent poursuivre leurs efforts communs pour bâtir une économie mondiale ouverte et combattre toute forme de protectionnisme, en assurant un cadre de concurrence équitable ». Toutes deux préconisent une réforme nécessaire de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) alors que les échanges économiques internationaux sont de plus en plus impactés par l’accroissement des barrières commerciales et, en filigrane, par l’escalade des tensions entre les États-Unis et la Chine.
Geste fort de la volonté de Pékin de défendre le multilatéralisme, le Président XI Jinping a accepté, dans le cadre de sa visite d’État en France, de participer le 26 mars 2019 à une rencontre inédite avec le Président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, et la Chancelière allemande Angela Merkel. De quoi donner un poids supplémentaire à la concertation sino-française dans le cadre d’un partenariat entre la Chine et l’Europe, non exempt de divergences, mais central dans le commerce international.
À l’issue de ces échanges, le chef de l’État français a clairement résumé la position européenne face à l’émergence de la puissance économique de la Chine : « l’ouverture du marché européen a accompagné (…) la spectaculaire émergence de la Chine, qui a sorti 700 millions de personnes de la pauvreté. Ces progrès considérables ont, dans le même temps, engendré de profondes transformations et des tensions dans nos sociétés. Je crois que notre volonté commune est d’éviter que la réponse à ces tensions ne soit dans la fracturation de l’ordre international commercial, dans une nouvelle conflictualité commerciale ou dans des politiques d’isolation ou de repli. » Quelque mois auparavant, le Président XI Jinping avait plaidé sa bonne foi en ouverture de la première Exposition internationale d’importation de la Chine (CIIE) le 5 novembre 2018 :  la Chine ne refermera pas ses portes au monde, mais deviendra au contraire de plus en plus ouverte  »

Des relations privilégiées ancrées dans une histoire commune

Plus d’un demi-siècle après l’établissement de leurs relations diplomatiques, la Chine et la France ont su préserver l’essence d’une entente étroitement liée à l’affirmation de leur souveraineté nationale. Scellée le 27 janvier 1964, cette initiative du Président français Charles de Gaulle a marqué un tournant pour les deux pays et dans l’histoire de la guerre froide, créant une véritable « bombe atomique diplomatique » comme l’a rappelé S.E.M. ZHAI Jun, ancien Ambassadeur de Chine en France, dans les « Carnets » de l’Institut Diderot. Et de renchérir : « cette décision audacieuse illustre l’esprit d’indépendance qui anime la France et qui lui a valu le respect du peuple chinois. » La France devient alors le premier pays occidental à reconnaître la République Populaire de Chine.


À l’époque, l’aboutissement de cette reconnaissance n’allait pas de soi. Lorsque MAO Zedong proclame, le 1er octobre 1949, la République Populaire de Chine, la France est alors clairement positionnée dans le camp occidental qui faisait front à l’expansion du communisme sur un échiquier international divisé en deux bloc. Elle était un pays bénéficiaire du plan Marshall déployé à partir de 1947 par les États-Unis et signataire du Traité de l’Atlantique-Nord, le 4 avril 1949.
Pour autant, de retour au pouvoir en France en 1958, à la tête d’un régime présidentialisé, le Président Charles de Gaulle rééquilibre la politique étrangère de la France. En septembre 1963, M. Guillaume Georges-Picot, Président de la section Extrême-Orient du Conseil national du Patronat français (CNPF) et ancien ambassadeur de France aux Nations unies, est reçu par le Premier ministre ZHOU Enlai. Mandaté par de Gaulle, M. Edgar Faure engage en octobre suivant les pourparlers avec les dirigeants chinois, dont MAO Zedong, le 22 octobre suivant. Le protocole d’accord en vue de l’instauration des relations diplomatiques franco-chinoises sera finalisé plus tard à Berne par l’Ambassadeur de Chine en Suisse, S.E.M. LI Qingquan et M. Jacques de Beaumarchais, Directeur d’Europe au Quai d’Orsay.
Visionnaire, le Président Charles de Gaulle, artisan de cette rencontre avec le leader de la Chine nouvelle, MAO Zedong, avait déclaré : « Il n’est pas exclu qu’elle [la Chine] redevienne au siècle prochain ce qu’elle fut pendant tant de siècles, la plus grande puissance du monde. »
De fait, plus d’un demi-siècle après, la Chine de XI Jinping est devenue une puissance incontournable. Au premier rang de l’économie mondiale, avec un PIB en parité de pouvoir d’achat (PPA) de 25 000 milliards de dollars fin 2017 (soit 18,7% du PIB mondial), supérieur à celui des États-Unis (20 000 milliards). Et Pékin vise le premier rang gobal aux plans diplomatique, militaire et technologique d’ici 2050. En attendant, la France est aujourd’hui le deuxième fournisseur européen de la Chine (1,5% de parts de marché), loin toutefois derrière l’Allemagne (5,4%). De son côté, la Chine est le 2ème fournisseur de la France, avec 49 milliards d’euros d’importations de biens chinois en 2017.
Parallèlement à l’émergence de la Chine, les liens sino-français n’ont cessé de se consolider. Après avoir instauré un partenariat global en 1997, un dialogue stratégique en 2001, Paris et Pékin ont inauguré en 2004 un partenariat stratégique global.
Dans le prolongement de l’approche gaulliste de la « Nouvelle Chine », le Président Emmanuel Macron déclarait d’ailleurs, le 25 mars 2019, en guise d’ouverture du dîner d’État organisé en l’honneur de son homologue chinois : « (…) notre responsabilité compte tenu de l’état du monde et en tant que membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, est de continuer à prendre l’initiative, à renouer avec l’esprit pionnier qui anime depuis 55 ans nos relations. »

© Xinhua/Wang Ye Dans la continuité de la visite d’État du Président Emmanuel Macron, le Premier Ministre français Édouard Philippe, ci-dessus aux côtés du Premier Ministre chinois LI Keqiang, s’est rendu en visite officielle en Chine du 22 au 25 juin 2018.

L’Année franco-chinoise de la transition écologique, la création d’un Centre Pompidou à Shanghaï, la future Fondation de Chine à la Cité universitaire internationale de Paris ou encore la construction d’une usine de traitement des combustibles nucléaires usagés représentent aujourd’hui autant de projets de cette relation d’avant-garde. Charles Henry